Maria Compagnet a épousé Louis Rey en 1900. Originaire de Barrancoueu, elle a participé activement à tous les évènements marquant le village de Cazaux –
Debat au XXème siècle.
Barrancoueu, village frontière
« La commune de Barrancoueu est située sur le flanc d’un coteau fermant l’ouverture d’un petit vallon à l’ouest d’Arreau. Les limites bornent la commune à l’ouest par une immense étendue de forêts et de terrains incultes servant de pâturages et vulgairement appelés la montagne. » Forgue, instituteur, 1887.
Le village de Barrancoueu, au fond du vallon, vu depuis Cazaux - Debat,
avec au dessus les crêtes qui séparent la vallée d'Aure de la Bigorre
C’est dans ce village comptant alors une centaine d’habitants que naquit le 13 février 1878 une petite fille, Maria Compagnet. Jeanne Marie Eugénie Compagnet à l’Etat civil. C’était la dernière née d’une famille nombreuse, dont la difficile subsistance dépendait des deux sources de revenus essentiels du village : les forêts et l’élevage.
Les Compagnet sont liés à nombre de familles du village. Ils participent à la vie municipale. L’un d’entre eux a même exercé les fonctions de maire, à la fin du second empire. Les frères de Maria sont de grands et solides gaillards. L’un d’entre eux, le plus grand et le plus costaud, est « parti gendre » de l’autre côté de ce que l’on appelait à ce moment-là la « Hourquette d’Arreau », aujourd’hui le col d’Aspin. A Campan, la vie n’était pas facile pour lui, natif de la vallée d’Aure. Il devait fréquemment faire le coup de poing pour se faire respecter de ces bigourdans avec lesquels les querelles de frontières avaient été nombreuses et violentes par le passé.
De tout temps, Barrancoueu avait défendu la frontière entre le Pays des quatre vallées et le Comté de Bigorre. Il se raconte qu’un jour, deux bergers, l’un de Campan , l’autre de Barrancoueu, s’étaient disputé sur leur droit respectifs à faire pacager leur brebis dans la montage qui sépare les deux vallées. Les responsables des vallées s’étaient réunis, et s’étaient mis d’accord sur une solution : les deux bergers allaient se battre à mort, et la borne frontière serait installé là ou mourrait le premier des protagonistes. Les habitants de Campan étaient sûrs de la victoire : leur berger était un vrai guerrier, très grand, très fort, un vrai bagarreur. Celui d’Aure était un petit berger habile pour tirer à la fronde les lièvres, les blaireaux ou les coqs de bruyère. Il n’avait aucune chance dans un combat rapproché au bâton ou au couteau.
Le combat se déroula sur la crête, au milieu d’une foule nombreuse venue des deux versants de la montagne. Et les choses ne tournèrent pas comme prévu initialement. L’homme de la vallée d’Aure, l’homme à la fronde, réussit ce qu’il savait faire avec le petit gibier : il blessa mortellement le gaillard venu de Bigorre. Mais ce dernier l’avait auparavant poursuivi et entrainé loin sur le versant aurois de la montagne. Alors le petit berger attrapa son imposant adversaire par les pieds pour le trainer de l’autre côté de la montagne, pour qu’il meure le plus loin possible de la ligne de crête. Ceux de la vallée d’Aure encourageaient leur petit berger, le portaient littéralement de la voix, lui et son fardeau. Et ceux de Bigorre criaient à leur champion déchu, déjà, avant que d’être mort : « Crève ! Crève ! ».
C’est l’histoire qui se racontait dans les familles de Barrancoueu et ailleurs, en vallée d'Aure.
La petite fille garde les brebis dans la montagne et fréquente l’école de cet instituteur, Forgue, auteur de la monographie du village en 1887 dans un style que n’aurait pas renié Emile Zola :
« Le peu de ressources dont on dispose, les maigres revenus que l’on en retire des terres qui sont brûlées par le soleil, terres légères, sablonneuses où la roche domine, peu de fonds
par conséquent, ce qui ne permet pas la grande culture. La vie étant difficile, beaucoup de personnes restent célibataires. En second lieu, les habitants ne voulant point végéter dans des lieux
où la vie est si ingrate quittent à l’âge adulte leur village en grand nombre.[…] Il en est qui reviennent après quinze ou vingt ans de séjour dans les villes, n’ayant pour seul bagage que
d’amères déceptions et une santé bien compromise.
Aussi, le nombre de feux est-il restreint. La population quoique agglomérée, ne compte que vingt deux feux. Et ils n’ont pas tendance à se multiplier par la raison qu’ayant peine à vivre
toute la famille réunie, il serait encore plus difficile de vivre en morcelant les biens. La nécessité de s’entendre s’impose à tous les membres de la famille ; de là l’union quelquefois forcée
qui réunit les caractères souvent dissemblables ou incompatibles. Les étrangers viennent peu s’y établir car la vie y est trop pénible et trop dure ; il en résulte qu’un lien de parenté existe
entre presque toutes les maisons du village. Cette parenté, qui devrait amener l’entente et l’harmonie engendre des rivalités et des haines, des questions d’intérêt que la ruine seule causée par
les exigences des procès apaise plutôt qu’elle ne détruit. On voit parfois des familles unies par les liens plus proches éprouver et se témoigner une telles inimité les uns pour les autres
qu’elles ne cherchent qu’une occasion pour se nuire mutuellement. L’organisation municipale est une conséquence de ces divisions intestines. […] Les intérêts privés priment les intérêts généraux,
on cabale, on cherche à entrainer les électeurs indécis pour accorder le pouvoir à des créatures n’ayant point de fermeté ou d’influence pour réprimer les menées des plus intrigants. »
Et il y a l’école : « appuyée contre un mur de roches schisteuses, elle laisse à désirer comme salubrité. Dans la saison des pluies, des filets d’eau filtrent à travers les couches de pierre et moisissent le mur entier qui s’étage contre ce contrefort naturel. La salle de classe est au rez-de -chaussée et au premier étage, le logement de l’instituteur. La salle de classe […] n’est pas assez éclairée : il n’y a qu’une seule fenêtre pour laisser pénétrer le jour. […] les huis des portes et des fenêtres sont mal joints. En hiver, quand la tempête souffle avec violence, la bise siffle en pénétrant par tous les interstices. En classe, les tables d’ancien modèle sont rongées par les mites et manquent de solidité. Les élèves les remplissent toutes en hiver. C’est l’époque où l’école est la plus fréquentée, mais au mois d’avril ou de mai, ils quittent en majeure partie pour ne rentrer qu’à la Toussaint. L’instruction est sacrifiée au profit des travaux champêtres ou de la garde des bestiaux. »
La légende de l’Aouet de Saint Exupère
Monsieur Forgue était un conteur. Il racontait à ses élèves les deux versions du sapin de Saint Exupère, Saint d’Arreau, mais sapin de Barrancoueu. Ces deux versions, il les a retranscrites dans la monographie du village :
«Deux versions circulent sur cette légende.La première et la plus répandue est celle-ci.
Les habitants de Campan, jaloux de la prospérité que causait à Arreau la possession d’une relique de Saint Exupère, résolurent de se l’approprier. Un jour de fête, ils s’emparèrent
adroitement et quittèrent la ville avec leur précieux trésor. La nouvelle de cet enlèvement se répandit bientôt et l’on se mit à la poursuite des ravisseurs. Mais arrivés en cet endroit de la
forêt, ils aperçurent la relique qui, s’échappant des mains des gens de Campan, s’était posée d’elle-même sur la terre de cet arbre, à deux mètres environ du sol, et à l’endroit où le sapin
formait un coude très prononcé. Elle semblait environnée de flammes qui paraissaient devoir la protéger. On la reprit et on la descendit processionnellement à Arreau la déposer à l’église qui la
possède encore, et où elle est l’objet d’un culte vénéré.
L’autre version parait plus invraisemblable. La voici, telle qu’elle m’a été racontée par un homme des plus anciens de la commune.
En face de Barrancoueu, au milieu de la forêt qui limite cette commune au sud, et sur le bord du chemin qui va d’Arreau à Bagnères, en traversant la montagne, existait un sapin énorme, appelé l’Aouet (le sapin) de Saint Exupère. Le saint, pendant sa jeunesse, qu’il a passée à Arreau, allait souvent à la chasse des ours, des loups et des sangliers, bêtes redoutables dont les bois étaient infestés. Il se rendait en ce lieu de la forêt au pied de cet arbre gigantesque et se plaçant à l’affut derrière son tronc épais et noueux. Après y avoir passé la nuit, et quand le gibier faisait défaut, il s’asseyait au pied de l’arbre et après quelques moments de repos, redescendait à Arreau.
Quoi qu’il en soit, ce sapin, objet de la vénération d’habitants pendant de longs siècles, n’a disparu que dans ces derniers temps. En mémoire de ce fait, et pour remplacer l’arbre, les habitants d’Arreau ont placé deux crois, une en bois et une en fer, sur l’emplacement du sapin légendaire. Et chaque fois que les habitants passent devant ces croix, ils ne manquent jamais de ce découvrir et d’adresser une courte prière à Saint Exupère en se plaçant sous sa protection. »
C’est ainsi que Maria Compagnet, formée par Monsieur Forgue, a été reçu a son certificat d’études, a poursuivi sa formation jusqu’à être reçue en 1894 au brevet des écoles. Elle intègre alors l’école normale des jeunes filles à Mirande.
L'école Normale de Mirande, 1897 - Maria Compagnet est en haut, assise, tournée vers la gauche
Elle devint ainsi indépendante de sa famille. Indépendante : cette caractéristique ne la quitta jamais, ni matériellement, ni moralement. A l’école normale, au vu de ses appréciations, elle a manifestement appliqué le sage conseil que les sous – officiers donnaient aux conscrits pendant les classes, au service militaire : « surtout ne vous faites pas remarquer, ni en bien, ni en mal ».
Institutrice à Cazaux - Debat
Maria Rey commence à enseigner à Tarbes, pendant deux ans, de 1897 à 1899. Se souvient-elle des propos de son instituteur, Forgue, sur les personnes du village restées trop longtemps en ville ? Elle demande sa mutation pour les vallées. Justement, le poste de maitre d’école de Cazaux Debat est vacant depuis le décès en mai de l’instituteur, Dominique Rey. Et le Conseil municipal a demandé, à plusieurs reprises, par délibération, qu’une institutrice soit nommée afin de pouvoir former les filles du village aux travaux de couture. C’est ainsi que Maria Compagnet arriva à Cazaux – Debat à l’automne 1899. Elle ne devait pratiquement plus quitter le village.
Maria Rey en 1900
En février 1900, quelques mois après son arrivée, elle épouse Louis Rey, le maire du village. De sa maison, elle peut voir son village natal, de l’autre côté de la montagne. En 1902, elle a la grande joie d’avoir un fils, Bertrand, puis c’est une fille qui nait, Suzanne.
Maria Rey est une institutrice appréciée. Les effectifs sont réduits : une dizaine d’élèves au plus, des sections enfantines jusqu’au cours supérieur. L’inspecteur lui rend visite tous les deux ans. Quand l’inspecteur doit venir, il prévient le maire, non seulement pour des raisons protocolaires, mais plus particulièrement celui de Cazaux – Debat car ce dernier est également transporteur. C’est lui qui véhicule l’inspecteur en carriole à cheval, d’une école à l’autre pendant le séjour de ce dernier. Dés qu’elle est prévenue de la visite, Maria Rey court prévenir sa collègue, Mademoiselle Porte, à Ris, qui prévient la suivante et ainsi de suite. L’inspecteur est bien reçu à la table familiale, à l’issue de l’inspection.
Les commentaires de l’inspecteur sont bons : « 5 élèves - bonne petite école. Les deux élèves en cours élémentaire sont nettement avancés pour leur âge. » (Inspection de mars 1914).
Outre l’école, l’institutrice et son mari donnent des cours pour adultes. En fait de cours, il s’agissait de se réunir chez le maire, dans la salle à manger. On sortait les verres, la bouteille, on faisait une partie de manille en commentant l’actualité. Et on lisait le journal. Maria Rey faisait aussi de l’instruction pour les femmes : hygiène, secourisme. Elle pratiquait aussi. C’est elle que l’on venait chercher pour les accouchements, ou pour prodiguer des soins aux blessés ou aux malades.
Pour sa part, Maria Rey n’hésite pas à forcer un peu la main à l’inspection pour obtenir les congés. A cette époque, les instituteurs bénéficient de périodes de congés légaux, non rémunérés, fixés de façon nationale ou locale : Deux mois sont fixés par l’inspection pour la période qui suit la fin de l’année scolaire, 2 jours avant et une semaine après les fêtes de Pâques, et le matin du 2 novembre. La commune de Cazaux – Debat a décidé que les six jours de congés scolaires seraient répartis comme suit : 4 jours entre Noël et le jour de l’an, ainsi que la veille et le jour du mardi gras. En outre, aprés son premier accouchement en 1902, Maria Rey décida de prendre des congés pour pouvoir allaiter son fils, Bertrand, puis d’en prendre soin, le petit étant de santé fragile. Au même moment, la bonne de la famille Rey avait elle- même besoin de congés. L’inspection fut avertie de ces différentes demandes sans pouvoir se prononcer contre. Madame Rey avait réglé par avance les conditions de son remplacement : c’est mademoiselle Porte, de Ris, qui faisait les cours. Cette période dura de novembre à décembre 1902, puis en avril et mai 1903.
Puis, vint la guerre, la première guerre mondiale. Les cours continuèrent, pas les inspections. Les cours étaient presque les mêmes qu’avant guerre, comme le montre ce cours de morale, en date du 11 février 1616 :
Une page du cahier de Madeleine Soutiras, février 1916 -
A noter : le choix effectué pour illustrer le S.
En août 1918, Maria Rey fut mise à contribution pour apporter des soins aux travailleurs vietnamiens victimes de la grippe « espagnole » à Cazaux Debat. Le virus H1N1 de cette grippe avait dû passer par Cazaux – Debat et Barrancoueu, car elle ne fut pas infectée, pas plus d’ailleurs, semble-t-il, que d’autres habitants du village, du moins sous une forme virulente. Le village de Mont, celui d’Arreau, le camp des travailleurs du canal situé à Bordères – Louron n’eurent pas cette chance : il y eu des dizaines de morts de la grippe espagnole dans la vallée entre septembre 1918 et février 1919.
Elle fut également proche du drame vécu par la famille Bégué, avec la mort brutale du père de famille, Louis Bégué, en septembre 1918. Madame Bégué, la veuve, était une paysanne forte physiquement et moralement. La situation était tout de même particulièrement difficile. Cette jeune femme se retrouvait avec son fils de quatre ans, responsable d’une exploitation familiale à exploiter seule. A ce moment là, le valet de ferme, Pierre Ferras, était en captivité en Allemagne. Et il restait la tante, Saturnine, une femme au caractère ombrageux et difficile qui régnait sur la « maison du haut » de la ferme Bégué. Pour madame Bégué, le réconfort apporté par Maria Rey, et l’appui des Rey à l’éducation de son fils unique et orphelin compta beaucoup. Comme Maria Rey, madame Bégué « était sortie » d’un village de la valle d’Aure, Soulan. Et comme elle, le patois était sa langue maternelle. Ce n’était pas le cas à cette époque à Cazaux – Debat où depuis longtemps, les mères parlaient français à leur enfant.
En 1918, le nombre d’élèves était particulièrement faible : 4 élèves, avec des perspectives encore plus basses. L’inspection s’interrogea sur la possibilité de fermer l’école. L’institutrice indiqua que l’école la plus proche se trouvait à Bordères à 2,8 km et qu’en hiver, les chemins étaient très mauvais pour s’y rendre. Alors, l’école de Cazaux – Debat fut maintenue.
Les inspections de Jean Bégué
Quand l’inspecteur venait, c’était en principe pour inspecter l’institutrice, mais l’appréciation portait pour l’essentiel sur les élèves. Et en ces années 1920, ces derniers étaient très peu nombreux : 4, puis 2, puis un seul : Jean Bégué. Et plus ce dernier prenait de l’âge, plus il redoutait l’inspection.
Ainsi, en février 1920 « J’ai constaté que le petit de 6 ans qui était présent lors de mon passage savait bien syllaber et compter. L’autre était absent, fréquemment malade ». Au passage, l’inspecteur apprécie que la municipalité ait investi dans un poêle à bois. En 1922, il ne reste qu’un élève. En 1923, « un seul élève, fréquente régulièrement mais l’exactitude laisse à désirer ». Il est vrai que les relations entre l’élève et son institutrice étaient particulières, compte tenu de la situation. L’école se tenait dans la salle de l’actuelle mairie. Le matin et le soir, le jeune Jean accomplissait diverses tâches que lui demandait sa mère, et à la récréation, il se rendait dans la cours de la maison Rey. Et là, il accomplissait diverse tâches que lui demandait son institutrice : ranger le bois, nourrir les poules. Avec madame Rey, qu’il appelait Maria en son absence, Jean Bégué parlait le patois de la vallée d’Aure qu’il parlait aussi chez lui avec sa mère et Pierre Ferras. Sauf pendant les cours. Là, l’institutrice et son élève parlaient français. Dans ces années 1920 et par nécessité, l’école publique de Cazaux – Debat a donc été en quelque sorte l’une des premières écoles avec enseignement immergé d’une langue régionale, sans que ni les protagonistes, ni l’inspection ne s’en rendent compte.
En 1924, Jean Bégué a 10 ans. Et c’est cette inspection qui l’a marqué à vie. « Les progrès de l’élève qui forme à lui seul la classe de Cazaux – Debat ne sont pas très rapides. Le manque de stimulation y est sans doute pour beaucoup, mais aussi sans doute les difficultés à s’exprimer. » En 1925, c’est clair : l’inspecteur inspecte Jean Bégué : « cahier propre. Ecriture et orthographe un peu amélioré. » En 1926, cela va mieux, l’inspecteur est moins impressionnant. « L’unique élève de madame Rey fait des progrès quoique lentement. Il devrait suivre en BEP ».
A partir de 1927, les effectifs remontent un peu. Louis Rey décède cette année là, puis Maria Rey marie son fils ainé quelques mois plus tard. Ou plutôt, le fils chéri de Maria Rey lui échappe en épousant une camarade de colège de Suzanne Rey. Le mariage a lieu à Conchez de Béarn, dans une atmosphère de deuil pour les Rey mère et fille. Le deuil de Louis Rey et aussi celui de faire faire à Bertrand Rey, le fils et le frère, le mariage rêvé. Le marié, Bertrand Rey, qui adorait aussi sa mère, s’est néanmoins établit dans la région parisienne où il vécut une vie de fonctionnaire.
Maria Rey au mariage de son fils, à ses côtés, en noir. Sa fille suzanne est en haut, en noir avec une fleur
Suzanne Rey se marie à son tour et en mars 1930, ça y est : Maria Rey est grand – mère. Elle vient donc s’installer quelques temps chez sa fille, à Lavardac, dans le Lot et Garonne, laissant sa petite classe entre les mains de l’inspection, qui fait ce qu’elle peut.
« Lavardac, le 27 mars 1930
L’institutrice de Cazaux Debat
à
Monsieur l’inspecteur d’académie à Tarbes
Monsieur l’inspecteur d’académie,
J’ai l’honneur de vous informer qu’il ne me sera pas possible de reprendre mon service que le 8 avril 1930.
Je vous prie, monsieur l’inspecteur d’académie, d’avoir l’obligeance de m’accorder jusqu’à cette date une nouvelle et dernière prolongation de mon congé pour convenance
personnelle.
L’institutrice,
Maria Rey. »
En réponse à ce courrier, l’inspecteur a informé le Maire de Cazaux – Debat : « Madame Rey m’a prévenu au dernier moment qu’elle sollicitait une prolongation de congés de 7 jours. Comptant qu’elle reprendrait le 1er avril, j’avais disposé de sa suppléante pour une école fermée depuis longtemps déjà. Il n’a pas été possible de laisser Melle Lainé à Cazaux – Debat. »
Désormais, la vie de Maria Rey est rythmée par les vacances scolaires et la venue de ses petits enfants, dont le nombre grandit rapidement. Mais son gendre n’a pas voulu reprendre la scierie, qui doit être vendue. Maria Rey se trouve propriétaire de deux maisons du centre du village : l’ancienne école achetée en 1896 dans le cadre du conflit entre son beau – père et le maire d’alors. Elle est louée à Bertrande Lacaze, la sœur du maire et ami de Louis Rey. La seconde était la maison de Thérésia Verdier, veuve Despax, achetée en viager par Louis Rey pour soutenir financièrement cette veuve atteinte d’infirmités, et dont le mari avait aidé Louis Rey à devenir maire, quarante ans auparavant.
Maria Rey est impliquée dans la vie du village. Elle organise des séances de lecture, des causeries (toujours chez elle, selon l’organisation mise en place avec son mari) et fait circuler dans le village des revues, journaux et livres. En 1932, les effectifs sont remontés : 8 élèves. « Enseignement solide et adapté. Combattre le ton chantant et pour cela exiger de faire baisser la voix à la fin des phrases. »
Les écoliers à l'accent chantant de Cazaux - Debat quelques années aprés le départ à la retraite de Maria Rey
Maria Rey prend sa retraite en juillet 1934. Elle en bénéficiera jusqu’en 1972, date de son décès à Cazaux –Debat, à l’âge de 94 ans. 37 ans de carrière professionnelle, 38 ans de retraite. Elle est remplacée par un instituteur, puis par Mademoiselle Fourasté, et d’autres encore. L’école a fermé en 1965.
Maria Rey, citoyenne engagée
Elle a conservé chez elle le numéro de la Dépêche qui relate la mort de Georges Clémenceau, le républicain radical.
Journal "La Dépêche du midi" conservé par Maria Rey
Et aussi, elle a conservé le numéro qui relate les conditions dans lesquelles le pays accepte de capituler, en 1940.
extrait du journal "LaDépêche du Midi" conservé par Maria Rey
EN 1940, Cazaux – Debat est en zone libre. Jean Bégué est prisonnier en Allemagne. Bertrand Rey est à Paris, en zone occupée. Suzanne Rey et ses enfants sont en zone libre. Maria Rey doit tout d’abord s’organiser pour subsister, comme toute la population française, même à la campagne. En plus de son jardin, au village, elle entreprend de cultiver des pommes de terre à Suscarrère, une terre aride où le granite affleure.
Maria Rey n’aime pas le régime du Maréchal Petain, ni d'ailleur le personnage. Au cours de cette période tragique où beaucoup se sont perdus, elle est demeurée républicaine et radicale. Quand le transporteur Lafitte lui demande s’il peut cacher un de ses autobus dans sa remise, à La Prade, afin que ce bus ne soit pas réquisitionné pour les besoins de la police française ou de l’occupant, elle accepte. Et un autobus a passé la guerre camoufflé sous un tas de foin, à la remise de la Prade.
Les Autrichiens et Georg Hirsch
En 1941, la maison de chez Thérésia est vide. C’est alors que l’institutrice qui l’a remplacée, Mademoiselle Fourasté, lui demande si elle ne peut pas héberger un groupe de réfugiés autrichiens qui se trouvent à Barrancoueu et à Arreau. Eelle accepte. Elle a certainement déjà entendu parler de ces Autrichiens, par sa famille à Barrancoueu. Elle voit arriver un couple avec un petit bébé de quelques semaines, et quelques hommes maigres et hâlés par le soleil. Elle leur procure du matériel pour le bébé : un landeau, notamment, qui est celui de ses petits enfants.
Harry Spiegel, Paul Jellineck, Jan Gredler et Pierre Spiegel (le bébé, au premier plan), devant la maison de chez Thérésia mise à leur disposition par Maria Rey - Le landeau lui appartenait également
Elle leur donne des œufs, et pendant les vacances, ils donnent des leçons d’Allemand à l’ainé de ses petis enfants qui vient d’entrer en 6ème au lycée. En septembre 1942, un autre enfant autrichien arrive à Cazaux – Debat. Il s’appelle Georg, il a 9 ans. A partir de la fin 1942, alors que la vallée est occupée par les Allemands et que les Pyrénées sont devenues zone interdite, les Autrichiens commencent à Partir. En février, madame Spiegel et son fils quittent les derniers Cazaux-Debat, avec le chef du groupe. Madame Spiegel a demandé à Maria Rey si elle pouvait garder son fils quelques temps, mais Maria Rey a décliné la proposition. Elle s’estime trop âgée pour s’occuper d’un enfant en bas âge. Elle a alors 64 ans. Le jeune Peter Spiegel est pris en charge par mademoiselle Fisse, l’institutrice de Barrancoueu, qui le confie à une famille d’accueil à la Barthe de Neste. Il reste Georges, qui demeure avec mademoiselle Fourasté. Par discrétion vis-à-vis des autres élèves, « Georges » ne vas pas en classe. Pendant les cours, il va chez « Nana », comme les petits enfants de Maria Rey appèlent leur grand – mère. Pour l’occuper, Maria Rey lui fait écouter les radios en langue allemande sur le poste TSF. Puis Georges part à son tour, à Barrancoueu, avec mademoiselle Fisse. Il écrit à sa mère, demeurée à Amiens, la lettre est interceptée par la SA allemande alors queIrma Hirsch, la mère de Georg, a été arrêtée comme résistante. Georg et mademoiselle Fisse sont arrêtés à Barrancoueu et amenés à Arreau le 29 mai 1943. Puis le lundi 31 mai, vers 13 heures, Maria Rey entend passer la voiture des Allemands. Mademoiselle Fourasté est arrêtée à son tour. Le maire, Pierre Ferrou, vient la chercher, on a besoin d’elle à l’école pour garder les enfants, continuer la classe. Les enfants sont bouleversés. Elle aussi. Elle est inquiête pour Georg, qui est juif, pour mademoiselle Fourasté, pour mademoiselle Fisse, et aussi pour elle –même. Effectivement, les policiers allemands de la SA viennent chez elle, l’interrogent à propos de son poste TSF, de ce qu’elle faisait écouter à Georg, ils fouillent la maison. Les fusils sont vieux, ils n’ont pas servi depuis longtemps. Les Allemands ne pensent pas à aller fouiller la remise à la Prade. Et finalement, ils la laissent tranquille. Mademoiselle Fisse revient quelques temps après. Mais pas Georg, ni mademoiselle Fourasté. Ils ont été amené « pour une destination inconnue ».
Aprés la guerre
Maria Rey n’a pas revu les Autrichiens. Elle a compris quel avait été le destin de Georg Hirsch, le petit juif qui venait jouer chez elle. Jean Bégué est revenu. Mademoiselle Fouraté aussi, qui s’est mariée avant de partir en Algérie. André Soutiras, son ancien éléve, a réussi à passer la frontière, seul, n’ayant pas fait confiance au passeur qui devait l’amener avec un groupe en Espagne. Le groupe s’était fait prendre et il y avait eu des morts. André Soutiras a pu rejoindre l’Afrique du Nord et il est revenu lui aussi, après avoir débarqué en Provence avec l’armée française reconstituée en Afrique du Nord. Jean Davezan, son ancien élève qu’elle avait réussi à amener jusqu’au certificat d’étude, a été mobilisé en 1944 et a fait la guerre dans l’armée française. Il est revenu vétu d’un trailli américain et y a gagné son surnom : « l’américain ». Le médecin de famille des Rey, le docteur Mounicq, a été inquiété en 1944 par ceux qui avaient entrepris pendant quelques temps de faire la loi dans la vallée. Le docteur Mouicq qui avait accouché madame Spiegel, réfugiée communiste et juive. Qui avait soigné les résitants.
Maria Rey a pu voter à partir de 1945, à l’âge de 67 ans. Elle a voté pour les radicaux, solidement implantés dans les Hautes Pyrénées. Elle s’est entousiasmée pour « l’exprérience Mendès- France », dans les années 1950. Elle a marié ses petits enfants, elle a eu des arrières – petits enfants
Maria Rey en 1955, au mariage de l'ainé de ses petits fils.
A droite, de face, sa fille Suzanne, à sa gauche, un de ses petit - fils
Elle a vu partir les uns après les autres ses amis et connaissances, ses parents. A la fin, elle a pu constater qu’elle était plus résistante que la moyenne. Tous les jeudis, à 90 ans passés, elle descendait et remontait à pied du marché d’Arreau. Elle est décédée en 1972, au temps de la télévision, des véhicules à moteurs encombrant les routes, de Georges Pompidou et de Chaban – Delmas.