Deux personnages clés de la Révolution sont issus des Hautes-Pyrénées : Bertrand Barère, de Tarbes et Jean Bertrand Ferraud, d'Arreau. De 1792 à 1794, ils furent de tous les évènements marquants de la République, pesant sur les évènements. A la chute de la Terreur, l'un s'effaça et l'autre, devenu très ppulaire, connu une fin tragique
Jean Louis Laneuville : Bertrand Barere de Vieuzac (1755-1841) au procès de Louis XVI (1754-1793) 4 janvier 1793
Bertrand Barère fut député de l’assemblée constituante puis de la convention. Membre du comité de salut public, il était chargé de rédiger les rapports des évènements hebdomadaires et d’en rendre compte devant l’assemblée. Il excellait dans ce rôle où il savait mettre en valeur les évènements et les maquiller suffisamment pour exalter les députés, les faire rire par des plaisanteries parfois grivoises ou leur redonner l’optimisme indispensable dans un contexte des plus difficiles pour eux.
A plusieurs reprises, Barère pesa sur les évènements dramatiques des années 1792 à 1795. Président de la Convention, c’est lui qui fixa les règles du procès du roi par l’assemblée, qui mena les débats et qui interrogeait le prévenu. La mort du roi fut finalement votée d’une voix de majorité.
Le 18 mars 1793, il prononçait un discours à la Convention, au nom de la Plaine, en soutien aux mesures révolutionnaires réclamées par la Montagne. Cette intervention est un véritable manifeste. Il y dégage avec netteté les trois données fondamentales du moment. On ne gouverne pas en temps d’exception selon les méthodes normales : il faut donc accepter les moyens révolutionnaires. La bourgeoisie ne peut s’isoler du peuple : il faut donc satisfaire Les demandes de ce dernier et assurer le ravitaillement. La bourgeoisie doit demeurer l’élément dirigeant dans cette alliance : la Convention doit donc prendre l’initiative des mesures révolutionnaires.
Devenu membre du comité de salut public, c’est lui qui décréta la Terreur à l’ordre du jour : « Les royalistes veulent du sang. Eh bien ! Ils auront celui des conspirateurs, de Brissot et de Marie-Antoinette… » Après l’exécution de la reine, il eut ce commentaire : « La guillotine a coupé un puissant nœud de la diplomatie des cours d’Europe ». L’esprit des lumières faisait ménage avec le cynisme, la cupidité et la violence.
Le 23 août 1793, il prononçait son fameux discours sur la levée en masse : « Dès ce moment, jusqu’à celui où les ennemis auront été chassés du territoire de la République, tous les Français sont en réquisition permanente pour le service des armées. Les jeunes gens iront au combat ; les hommes mariés forgeront les armes et transporteront les subsistances ; les femmes feront des tentes, des habits et serviront dans les hôpitaux ; les enfants mettront le vieux linge en charpie, les vieillards se feront porter sur les places publiques pour exciter le courage des guerriers, prêcher la haine des rois et l’unité de la République. »
Pendant les jours terribles de 1793 où une armée désorganisée et mal équipée dut se battre sur tous les fronts, y compris à l’intérieur du pays, il était là pour ramener l’optimisme et le sourire sur les lèvres des membres du comité de salut public ou des parlementaires. Certains de ses discours sur le jeune Baras dont il écrivit la légende, la perte du vaisseau « le vengeur du peuple », les victoires du général Marceau, font partie de l’imagerie républicaine. C’est lui aussi qui annonça les bonnes nouvelles : la prise de Bruxelles, de Namur, Fleurus… « Les victoires s’acharnaient sur Robespierre comme des furies » écrira plus tard Barère.
Dans les Hautes Pyrénées, son influence se fit sentir positivement. Six personnes, seulement, furent exécutées par la guillotine, quatre paysans accusés d’avoir tiré sur des patriotes qui leur volaient des fruits et deux prêtres qui n’étaient pas du département. Comme partout, on se partagea les biens nationaux.
Du 10 juin au 27 juillet 1794, la France connut la grande terreur. En six semaines, 1285 condamnations à mort furent prononcées à Paris. Interrogatoire, défense et témoins avaient été supprimés. Barère écrivit dans ses mémoires : « Nous n’avions qu’un sentiment, celui de notre conservation. On faisait guillotiner son voisin pour que le voisin ne vous fît pas guillotiner vous-même. »
Les voisins de Barère au comité de salut public s’appelaient Robespierre, Saint Just, Couthon. La victoire de Fleurus le 26 juin avait changé la donne. Le bain de sang avait lieu alors que s’éloignait le danger qui avait justifié les mesures d’exception.
Le 8 thermidor, 27 juillet 1794, le comité de salut public était divisé. Carnot, Collot, Billot – Varenne se sentaient menacés à leur tour par le clan Robespierre. Ils se rapprochèrent alors des anciens représentants en mission rappelés à Paris par Robespierre pour « avoir abusé des principes révolutionnaires ». Ils avaient fait tuer des dizaines ou des centaines de personnes à Lyon, Nantes ou dans d’autres villes, prenant leurs biens et s’enrichissant au passage. Menacés à leur tour, ils prirent l’initiative.
C’est alors qu’entra dans l’histoire le second personnage historique de la période pour le département des Hautes Pyrénées. Il s’appelait Jean-Bertrand Féraud.
Il était originaire d’Arreau. Issu d'une famille de la bourgeoisie locale, il était le fils de Jean-Baptiste Féraud, notaire royal, successeur de son père, et de Jeanne-Marie Casteret.
Son oncle Félix Féraud, lui aussi notaire, était le secrétaire de la dernière assemblée des États à Arreau en 1789.
Il fit des études de droit, lit les encyclopédistes, devient franc-maçon, puis membre de la Garde nationale d'Arreau, dès sa création, et obtient le grade de capitaine. Il fut envoyé à ce titre à Paris lors de la Fête de la Fédération le 14 juillet 1790
En 1792, Jean Bertrand Féraud avait été élu membre de la Convention par le département des Hautes-Pyrénées 5ème sur 6, avec 145 voix sur 222 votants.
En novembre 1792, il présenta le rapport sur les pétitions hostiles au roi que les sociétés populaires adressaient à la Convention. Il vota la mort de Louis XVI, sans appel ni sursis, en disant : « Fidèle à la Déclaration des droits, je vote pour la mort. Je n'attends rien pour ma patrie de la réclusion du ci-devant roi ; son existence ne fait rien aux autres despotes. Tous nos succès contre nos ennemis extérieurs dépendent du courage de nos soldats ; contre les ennemis intérieurs, du règne des lois, du retour de l'ordre et de la cessation des méfiances. Je vote pour la mort. »
Envoyé en mission à l'armée des Pyrénées-Orientales, il s'y comporta bravement et fut blessé plusieurs fois. En mai 1793 il fut nommé Représentant en mission auprès de l’Armée des Pyrénées Occidentales. Il était investi des pleins pouvoirs disciplinaire, financier et stratégique. Jean- Bertrand Féraud était omnipotent du Pays Basque au Val d’Aran. Il rendait compte de son activité à la Convention en permanence.
Infatigable, il parcourait la frontière pour encourager les troupes, veiller au respect des prisonniers espagnols, créer un tribunal militaire et limoger les officiers inefficaces.
En Vallée d’Aure il créa le Bataillon des Montagnards d’Aure et celui de la Neste. Il dirigea lui-même un raid à Gistain depuis le Rioumajou pour enlever du bétail, de la laine et du fer. Il proposa aussi à la convention le marbre pyrénéen pour s’affranchir du monopole italien. Mais l’heure n’était pas à l’usage du marbre.
Le 6 septembre 1793, il fut nommé Représentant auprès des Armées du Rhin et de la Moselle qui pénétraient en Allemagne. Il prit en charge l’équipement de ces troupes dépenaillées et punit les pillards. Il concevait les opérations sur les conseils de Carnot avec qui il correspondait très fréquemment.
Rappelé à Paris, il devint l’adjoint de Barras. Il s’éloigna de Robespierre.
Le 8 thermidor (26 juillet 1794), Robespierre et ses amis s’étaient réfugié à l’hôtel de ville de Paris où ils comptaient des partisans. Depuis la prise de la Bastille, la commune de Paris disposait d’un arsenal militaire suffisamment important pour investir la Convention. C’est alors que Barère le 9 au soir, présenta à la convention le décret mettant les partisans de Robespierre hors la loi. Cette mesure paralysa les partisans de l'insurrection robespierriste en préparation. Féraud, à la tête des troupes restées fidèles à la convention, investit l’hôtel de ville. Robespierre et ses partisans furent arrêtés, certains même, tués.
Prise de l'Hôtel de Ville de Paris par les troupes de Baras commandées par Féraud le 9 thermidor 1794
Le lendemain, Robespierre et ses amis étaient exécutés. Membre du Comité de Salut Public et rallié à la dernière minute au complot contre Robespierre, Barère fut menacé. Pendant plusieurs années, il dut se cacher pour ne pas être arrêté. Il fut finalement amnistié par Napoléon Bonaparte, premier consul, en décembre 1799. Journaliste pendant la période du Consulat et de l’Empire, il fut ensuite conseiller général des Hautes Pyrénées.
Jean Bertrand Féraud s'acquitta pour sa part d'une nouvelle mission aux armées du Nord et de Rhin-et-Moselle, annonçant à la Convention les succès des armées républicaines.
Il revint à Paris peu de temps avant les événements de prairial an III. Le 1er prairial (20 mai 1795), une foule envahit l’assemblée. On criait : « Du pain et la Constitution de 93 ! » Comme le président Boissy d'Anglas était couché en joue, Féraud tenta d'escalader la tribune pour le défendre, aidé par un officier qui eut l'imprudence d'écarter d'un coup de poing un insurgé qui résistait. La foule riposta par un coup de pistolet qui frappa Féraud mortellement.
Le corps sanglant fut traîné dans les couloirs et décapité au couteau. Les émeutiers présentèrent sa tête au bout d’une pique au Président de la Convention. Celui-ci se découvrit, salua et rendit hommage à la droiture et au courage de Jean Bertrand Féraud.
Le président de la Convention, Boissy d'Anglas, s'incline devant la tête de Féraud qui lui est présentée par les émeutiers
En fin de soirée, le calme revint après l’intervention des éléments de la Garde Nationale venus des quartiers bourgeois de la capitale. La tête fut remise à un commissaire de police par les soins d'un huissier de la Convention, et réunie au cadavre. Les meurtriers furent arrêtés et rapidement condamnés. Les députés qui les avaient soutenus furent arrêtés, certains se suicidèrent.
A l’annonce de la mort de Féraud, l’Armée s’agitait et criait vengeance. Quinze jours plus tard, la Convention organisa des funérailles nationales avec hymne en vers composé par l’auteur du chant du Départ, et musique. Un discours élogieux fut prononcé, imprimé, et distribué aux députés, aux départements et à l’Armée.
Jean Féraud laissa le souvenir d’un homme rigoureux, intègre et fidèle à ses engagements.
Son frère épousa la descendante de la famille Sens, à Cazaux – Debat. Il fut conseiller général du canton d’Arreau. Le petit-neveu du conventionnel fut conseiller général du canton de Bordères, qui comprenait désormais Cazaux - Debat et Ris, puis député monarchiste. La nièce de Jean Bertrand Féraud épousa Eugène de Goulard, qui fut député monarchiste sous la monarchie de juillet, la deuxième république puis fut ministre de l’agriculture, du commerce, des finances, de l’intérieur au début de la 3ème république.
A Cazaux-Debat, la grande ferme qui dominait le village, en face de celle des Fontan, fut vendue par les Sens aux Davezan. Au bout du vergé situé sous la ferme et que la famille Sens avait conservé, les Féraud firent construire une belle maison bourgeoise, tournée vers le sud et le massif des Clarabides. Elle se trouve à l'entrée du village de Cazaux Debat, au-dessus de la route, et on l’appelle toujours la "maison Féraud".
Quant à Bertrand Barère, il survécut à la période. Il fut l'un des seuls dans ce cas. Il dut se cacher pendant des années et ne fut amnistié avec "diverses personalités de droite et de gauche", qu'en 1799 par Bonaparte qui venait de prendre le pouvoir. Sous le consulat et l'Empire, il devint journaliste mais son journal fut interdit à partir de 1807. Il fut à nouveau élu député des Hautes Pyrénées pendant les cents jours avant de devoir s'exiler à Bruxelles en 1815, lors de la "terreur blanche". Rentré en France en 1830, où sa femme qui ne lui pardonnait pas la mort de Louis XVI refusait de le voir, il fut élu à nouveau député mais l'élection fut cassé. Il fut néanmoins conseiller général des Hautes Pyrénées, Républicain jusqu'à son dernier souffle en 1841.