La légende rapporte que les miquelets s’étaient réfugiés sur un plateau appelé Pla déro croua. C’est un espèce de camp retranché presque inaccessible, dominant Arreau et une partie de la vallée du Louron. Des contes plus ou moins fantastiques de leur souvenir, répétés au coin du feu, ont été pendant longtemps les croquemitaines des enfants du village. Quand une mère corrige un peu vertement son fils, elle ne manquera pas de lui lancer cet épithète : « qu’ès u miqualet » (Dominique Rey, instituteur, monographie du village de Cazaux – Debat, archives départementales des Hautes Pyrénées).
Nous avons proposé plusieurs causes relatives à cette légende
En 1798, la loi Jourdan-Delbrel — du nom des députés Pierre Delbrel et du général Jean-Baptiste Jourdan — instituait la « conscription universelle et obligatoire » de tous les Français âgés de 20 à 25 ans, c'est-à-dire le service militaire obligatoire. Le principe de cette loi — « Tout Français est soldat et se doit à la défense de sa patrie » — devait rester en vigueur à travers tous les régimes jusqu'en 1996. Cette loi, qui établissait le service obligatoire pour tous les célibataires de 20 à 25 ans, était destinée à faire face à la grande démobilisation consécutive au 9 thermidor — 700 000 hommes en 1794, 380 000 en 1797. Elle devait demeurer jusqu’en 1996.
Pour son application, les administrations des communes et des cantons devaient dresser "des tableaux sur lesquels seront inscrits tous les Français de leur arrondissement" âgés de 20 ans (article 24). « À partir de ces tableaux, les administrations centrales formeront classe par classe les tableaux généraux des conscrits de leurs départements respectifs » (article 26).
La loi prévoyait des exceptions légales : le tirage au sort permettait d’exempter une partie de chaque classe, en fonction des besoins des armées. On exempta les séminaristes dès la conclusion du concordat, les étudiants de certaines écoles prestigieuses et bien sûr, les inaptes, goitreux et mal formés nombreux à l’époque. On exempta aussi les hommes mariés.
Très vite, cette loi connut des difficultés d’application en particulier dans les départements du sud-ouest, les plus éloignés des théâtres d’opération militaire. Dans ces départements, le service militaire au-delà de la vallée était perçu comme une violation des libertés fondamentale et ce, dès l’ancien régime qui avait déjà voulu l’instaurer. Le soldat en lui-même y avait mauvaise réputation. Il était considéré comme un soudard capable des pires excès. Enfin, la vie même du soldat était perçue comme misérable. Les cadres étaient brutaux, les conditions de nourritures, de logement ou d’habillement plus dures encore que dans les fermes les plus modestes de la montagne. Sans parler des risques inhérents à la condition militaire. La vie de soldat était courte et parmi les survivants, la plupart cessaient leur engagements mutilés ou invalides.
Larrey opérant sur le champ de bataille : on perçoit les moyens dérisoires du meilleur médecin de l'époque et l'équipement défecteux des soldats : le blessé à gauche de l'image n'a pas de chaussures
L’engagement était à durée indéterminée : si les volontaires de l’An II avaient pu rentrer chez eux, profitant d’une large démobilisation, la guerre s’éternisait, et les soldats ne revoyaient pas leur foyer. Les officiers, et en premier lieu, Napoléon Bonaparte, préféraient conserver des vieux soldats plutôt que d’intégrer en permanence des novices. La lutte contre l’insoumission ne fut jamais une priorité au point de devoir détacher des unités militaires pour pourchasser les contrevenants de façon efficace. Dans les montagnes, même les plus pauvres étaient propriétaires de leur bien, de quelques têtes de bétail. Pour tous, la conscription était un désastre qui venait disloquer en profondeur le système socio-économique. Il était inacceptable.
A cela, s’ajoutaient des raisons de circonstance. Pour pouvoir rejoindre son unité d’affectation, le jeune conscrit devait accomplir à pied des centaines de kilomètre, jusqu’à Nice ou Besançon. Il était souvent seul ou avec un sous-officier qui n’était pas toujours le dernier à l’inciter à déserter. Il n’avait reçu pratiquement aucune tenue ou matériel : la famille devait lui donner une couverture, des vêtements. Dans beaucoup de familles, trop pauvres, cet effort-là était déjà démesuré. A cela s’ajoutait souvent la barrière de la langue. Passé Toulouse ou Langon, le conscrit avait du mal à comprendre ce qu’on lui disait. Dans un pays d’habitat dispersé, l’habitude de vivre en solitaire pousse aussi à haïr la vie de groupe inconnue en dehors du cercle familial, à plus forte raison la vie militaire.
Rapidement, la situation empira. Ainsi, un capitaine de gendarmerie écrivait le 29 fructidor An III : « le service … vient mal dans le Département des Hautes Pyrénées à cause de la grande quantité de déserteurs qui s’y trouvent. 500 hommes de bataillons de chasseurs de montagne se sont réfugiés dans ce département et ils y sont arrivés avec armes et bagages et surtout bien approvisionnés de poudres et de balles ; il y a une foule de hussards et de chasseurs de différents régiments qui se rendent dans les foires et marchés en si grand nombre qu’il serait dangereux d’y envoyer des brigades : les gendarmes sont insultés sur la grandes routes par les déserteurs en grand nombre et bien armés et ces derniers ont même menacés de tirer sur eux ; enfin, ils craignent de conduire des déserteurs à l’armée ».
En l’An VII, la levée de Prairial était catastrophique : les rapports indiquaient que dans les Landes, le Tarn et le Lot-et Garonne, « les opérations présentent de telles difficultés que l’on désespère totalement ». En Haute Garonne, « on ne peut faire rejoindre les réquisitionnaires et les conscrits en fuite, sur 300 envoyés au chef-lieu, le quart à déjà déserté. La plupart des cantons ne fournissent que deux ou trous conscrits ». Le rapport du 23 prairial signalait une rébellion : une bande d’insoumis avait attaqué un convoi de gendarmes à Martres-Tolosane. Dans les montagnes de l’Ariège ou des Hautes Pyrénées, le tocsin sonnait, prévenant les jeunes gens de l’arrivée des gendarmes qui étaient attendus au coin du bois. Ailleurs, les fuyards gagnaient la frontière avec l’Espagne.
Avant de recourir aux dernières extrémités, la fuite ou la violence, les jeunes gens utilisaient différents subterfuges pour éviter la conscription. Certains envoyaient à leur place leur petit frère, trop petit, goitreux ou difforme. D’autres se mutilaient s’arrachant les dents nécessaires pour déchirer les cartouches, ou provoquant sur leur corps des plaies qu’ils infectaient au risque d’y laisser un membre. La tenue de l’Etat civil se prêtait au petit jeu des substitutions. Le système de Maison, qui veut que l’on porte le nom de sa Maison, créait ainsi une différence entre l’Etat civil « officiel » et réel, différence renforce par l’usage répandu jusqu’il y a peu où tout un chacun était appelé par un prénom différent de celui mentionné à l’état –civil. A cela, s’ajoutait les incendies « fortuits », qui détruisaient les registres et qui finirent par toucher la plupart des registres des communes du sud – ouest. A Cazaux-Debat, les recensements nous sont parvenus et ils sont curieux. La commune de Cazaux-Debat comptait 120 habitants en 1770, 90 en 1793, 63 en 1800 et 96 en 1806, date où une amnistie napoléonienne permit à nombre de conscrits de se mettre en règle.
La corruption gagnait du terrain. Elle concernait les notables qui tenaient les registres et qui acceptaient des substitutions de nom, délivraient de faux certificats de mariages, de décès ou des substitutions d’identité contre la session de biens, les médecins qui effectuaient les visites médicales, les officiers du recrutement qui faussaient le tirage au sort, les gendarmes chargés de conduire les conscrits, différents lettrés capables de rédiger de faux de brevets et autres documents entrainant la réforme. Même les curés pouvaient délivrer de faux certificats de séminaristes, autre moyen d’échapper à la conscription. Les plus pauvres ne craignaient pas les sanctions financières qui s’abattaient sur les familles lorsque l’un de ses enfants étaient insoumis : ils n’avaient rien, et les soldats que l’on envoyait séjourner chez eux en représailles ne restaient pas, fuyant la vermine et la misère.
Il ne fallait pas se faire prendre : ceux qui étaient pris se retrouvaient au mieux dans des régiments disciplinaires en Corse ou en direction des colonies, où beaucoup étaient emportés par les fièvres tropicales. Les autres se voyaient attachés à un boulet pour au moins cinq ans à casser des cailloux le long des routes. Ainsi, en l’An 1810, dans le sud-ouest, 155 615 réfractaires avaient été condamnés, mais 32 645 avaient été effectivement arrêtés et 123 970 étaient « poursuivis ». A cela s’ajoutaient beaucoup de réfractaires, inconnus des services, qui n’étaient même pas parmi les « poursuivis ».
Aussi, les insoumis ne pouvaient pas rester chez eux. Profitant des règlements qui empêchaient les gendarmes de poursuivre les hors la loi au-delà des limites de leur département d’affectations, beaucoup s’installèrent sur les hauteurs, à la limite entre deux départements. C’est le cas de la crête qui domine Cazaux Debat. En la remontant, on peut gagner la crête qui surplombe la Haute Garonne, et inversement.
Les réfractaires constituèrent des bandes dans la montagne avec des déserteurs venus d’autres contrées et qui se réfugièrent dans les vallées pyrénéennes. Il est possible que l’une de ces bandes se soit installée au pla dero Croua, revitalisant ainsi la légende du site. C’était l’endroit idéal pour observer les allées et venues de la maréchaussée dans la vallée. Les réfractaires, comme d’ailleurs les compagnies franches de montagne mises sur pied dès la levée de 1793, prirent le nom de « miquelets ».
Ces bandes de réfractaires étaient des hors-la-loi. Ils pouvaient constituer un vrai danger pour le pays. Ainsi, en 1799, une armée de royalistes venue d’Espagne par le val d’Aran avait entrepris de prendre Toulouse, puis de gagner Bordeaux par le Gers. Cette armée royaliste de quelques milliers d’hommes, encadrée par quelques nobles aventureux, était composée pour l’essentiel de paysans de la région, réfractaires ou déserteurs, mal vêtus et mal armés. Après avoir échoué devant Toulouse, elle fut stoppée à Montréjeau d’un côté par les gardes nationaux venus de Toulouse, et de l’autre par les fusiliers de montagne venus de la vallée d’Aure et de Tarbes. Peu concernés par les projets de leurs chefs, beaucoup de ces « royalistes » périrent dans cette aventure.
D’autres partaient pour l’Espagne ou allaient dans la plaine, louer leurs bras dans des fermes, en échange d’une cachette, ou allaient se perdre dans les villes. L’insoumis devenait un paria. Il se faisait bandit de grand chemin ou contrebandier. Des bandes de 200 à 300 hommes parcouraient la montagne de part et d’autre de la frontière pour acheminer des produits de contrebande. Le pays devient peu sûr, les vols, les viols et les assassinats commis par ces hommes sans attaches se multiplient. Le 2 février 1809, 3 insoumis, un serrurier, un boulanger et un chapelier attaquent, violent et assassines deux jeunes femmes sur la route de Carbonne, en Haute-Garonne. EN l’An XII, une troupe armée sous la conduite d’un certain Cazave, déserteur, pille et rançonne des villages isolés. Pourchassée, elle se réfugie dans la vallée de la Barousse, juste derrière le col de Peyrefitte.
Face à eux, les préfets disposaient de maigres effectifs. Dans l’arrondissement de Saint Gaudens, l’un des plus touché par le phénomène, le sous-préfet disposait de 13 brigades de 3 gendarmes qui risquaient, à chaque interpellation, de se faire lapider par les mères des insoumis, ou assassinés le soir en rentrant chez eux.
Les relations sociales devenaient tendues. Le système du remplacement, où par un contrat de droit privé, un riche tiré au sort pouvait des faire remplacer contre une rente ou un capital de plusieurs milliers de francs, était mis à mal par l’insoumission ou la désertion. Dans ce cas, l’armée venait chercher le tiré au sort. Qu’advenait-il du contrat et de l’argent déjà perçu ? Les procès et règlements de compte se multipliaient. Les relations étaient tendues aussi dans les villages voire dans les familles entre ceux qui étaient partis à l’armée, et ceux qui étaient devenus déserteurs ou réfractaires.
Quand l’armée française envahit l’Espagne, en 1808, les bandes de réfractaires devinrent plus problématiques encore. Très vite, l’Espagne devint une terre de guérillas. Le mouvement gagna les Pyrénées. Il fallait éviter que les guérilleros espagnols et les réfractaires français fraternisent de part et d’autre de la frontière. Tout avait été essayé : la mansuétude avec plusieurs amnisties qui avaient aggravé le phénomène ; la répression, avec l’envoi de colonnes militaires dans le sud-ouest, qui avaient eu un certain effet mais limité, les réfractaires s’étant réorganisés ; l’incitation à la délation, soit par la menace, soit par la récompense. Les conscrits en réserve, voire même ceux condamnés ou déserteurs pouvaient faire transférer leur peine ou leur engagement sur l’insoumis qu’ils livreraient. , Cette méthode eut un certain succès mais aux dépend de la paix civile. La justice, opposée à ce qu’elle considérait comme une incitation à la justice privée, s’y opposa.
Napoléon chercha donc à récupérer réfractaires et déserteurs en leur proposant une forme de service acceptable pour eux, avec un statut particulier. Ils seraient « chasseurs des montagnes ».Le 6 août 1808, un décret créait 34 compagnies de chasseurs de montagne pour les Pyrénées, soit environ 5000 hommes d’infanterie légère dont 8 compagnies dans les Hautes-Pyrénées. L’appellation de « miquelets » fut alors abandonnée au profit de « chasseurs des montagnes ». Ces compagnies formées par les préfets recrutaient des hommes de 20 à 40 ans, équipées et habillées par les départements. Un uniforme fut défini, brun à parements verts. L’armement se composait d’un fusil avec baïonnette, d’une giberne, d’un sabre briquet et d’une gourde.
Ils ne devaient être employés que sur la frontière d’Espagne dans le cadre des divisions pyrénéennes. Les réfractaires qui se feraient inscrire auprès des juges de paix dans les quinze jours suivant la parution du décret pour servir dans ces unités verraient suspendre les poursuites contre eux et leur famille et bénéficieraient d’une amnistie totale après la guerre.
À la surprise des cinq préfets, les réfractaires affluèrent à tel point que l’effectif prévu fut vite atteint et dépassé. Le 30 août 1809, il existait 54 compagnies de chasseurs des montagnes, soit 8.600 hommes. C’est ainsi qu’en 1810, la population de Cazaux-Debat était remontée à 120 habitants. Des jeunes gens disparus quatre ans auparavant avaient fait leur retour dans les statistiques officielles.
Impliqués dans la lutte contre les guérillas espagnoles, les chasseurs des Montagnes livrèrent de petits combats dans un milieu difficile. L’adversaire était imprévisible et souvent cruel. En cela, ils répondaient à la barbarie des troupes de Napoléon dans certaines régions d’Espagne. Les bataillons de montagne protégeaient les voies de communications, les cols, escortaient les convois de ravitaillement et de prisonniers, opéraient des coups de mains dans les vallées et piémont espagnols. C’est là qu’ils étaient le mieux utilisés : en bandes de supplétifs se livrant à des coups de mains. Car ils étaient toujours indisciplinés, rentrant chez eux et en revenant, ou non, quand ils l’avaient décidés, emportant leurs armes avec eux. -
Ils combattirent en Aragon pendant l’hiver 1808-1809. En 1809, ils participèrent au terrible siège de Saragosse, à la Prise de Jaca et de la place forte de Venasque.
Après la défaite de Vitoria, les forces françaises entreprirent une lente retraite vers la frontière.
En 1813, les chasseurs de montagne défendaient les cols et les places fortes de San Sébastian, Jaca et St Jean Pied de Port contre l'armée anglo-hispano-portugaise commandée par Wellington. Lors du siège de Jaca, les chasseurs de montagnes résistèrent de septembre 1813 à février 1814. Contrains à la reddition, ils furent autorisés à rentrer en France avec les honneurs militaires.
Fin décembre 1813, les bataillons étaient dissout, et leurs effectifs reversés dans les régiments d'infanterie de Ligne. De fait, le naturel était revenu au galop. Parmi les volontaires de 1809, beaucoup avaient déserté à la première permission. Les autres combattirent encore les troupes de Wellington à Orthez et à Toulouse. Ceux qui étaient rentrés chez eux formèrent de nouvelles bandes de compagnies franches appelées à nouveau miquelets, attaquant les alliés sur leurs arrières ou protégeant leur village contre toutes les bandes de déserteurs de l’armée impériale, venus de tout l’Empire, et qui refluaient d’Espagne vivant sur les pays traversés.
Le 10 avril 1814, alors qu’il livrait bataille aux Anglais dans les faubourgs de Toulouse, le Maréchal Soult apprit l’abdication de Napoléon à Fontainebleau. Les Bourbon revenaient au pouvoir, la guerre prenait fin. Elle avait été déclarée 22 ans auparavant, en 1792. Depuis lors, le pays n’avait pratiquement jamais connu de période de paix.
Les Bourbon étaient de retour et imposaient leur loi. Le 26 octobre 1816, les hommes de Bordères Louron étaient convoqué devant le maire qui venait de prêter serment de fidélité au Roui. Ils étaient sommés de rendre leurs armes de guerre et de déclarer leur fusil de chasse. 18 habitants de Bordères remettaient aux autorités 14 fusils « sans baguette ni baïllonette », 3 sabres dont un à la lame cassée, et trois pistolets. En outre, 10 fusils de chasse étaient déclarés. Manifestement, tous ces hommes avaient en leur temps quitté le service militaire sans passer par le fourrier pour remettre leurs armes…
En dépit de la guerre, la population des Hautes Pyrénées et de l’arrondissement de Bagnères s’était accrue : plus de naissances, plus de mariages. Avec la fin des privilèges et le nouveau code civil, les cadets pouvaient à leur tour accéder à la propriété et se marier. Le mariage permettait aussi d’échapper à la conscription.
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