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Les Montespan dans le Louron - L’entrepreneur - Louis Antoine de Pardaillan de Grondin, Marquis de Montespan, duc d’Antin et pair de France

par amisdecazaux 18 Février 2014, 13:48 Histoires du village

Descendant de la maison d’Espagne-Montespan, proche des comtes de Foix et donc, des Bourbons, Louis Antoine de Pardaillan de Grondin eu le mérite de savoir se rendre indispensable au roi Louis XIV puis au régent. Homme sérieux et travailleur, il réalisa une entreprise importante pour exploiter au mieux les forêts du Louron et le marbre des Pyrénées.

L’enfant des Pyrénées

Louis de Pardaillan de Gondrin, fils du marquis Louis Henri de Montespan, est né en 1665, deux ans avant que sa mère, Françoise Athénaïs de Rochechouart ne devienne la favorite de Louis XIV. Les conditions de son éducation nous sont connue par ses Mémoires.

Le marquis de Montespan le fit élever « avec grand soin » dans son château de Bonnefont situé à côte de Trie- sur-Baïse et du village d’Antin qui donna son nom au duché-pairie. Il le confia d'abord à un précepteur, l'abbé Antoine Anselme, « un excellent sujet », auquel le duc d'Antin reconnaît avoir « toutes les obligations imaginables » : « Ce n'est pas sa faute, si je n'ay pas l'esprit et le cœur faits comme je devrois l'avoir; il n'y a rien oublié de sa part, ses paroles et ses actions étaient de concert ».

Louis de Grondin arriva dans les Pyrénées avec son père, banni de Paris par le roi. A l’âge de 4 ans, il parti avec son père en Espagne, pour un séjour qui dura 5 ou 6 mois. Il en fait une allusion dans ses mémoires. On peut imaginer qu’ils passèrent par le port du Plan, au fond de la vallée d’Aure ou par le port de Venasque. Cela permit au marquis de montrer à son fils les villages du Louron dont ils étaient les seigneurs.

La vallée du Louron vue depuis le col d'Aspin

La vallée du Louron vue depuis le col d'Aspin

L’enfance du duc fut donc marqué par les séjours dans les Pyrénées, les déplacements fréquents de son père et l’éloignement de sa mère et de ses 6 demi-frères et sœurs, enfants illégitimes du roi Louis XIV. Il dit avoir passé de bons moments au château de Bonnefont.

Sa famille avait pris de l’importance au cours du XVIème siècle, profitant de l’ascension des Albret puis des bourbon vers le trône de France. La famille de Montespan, demeurée catholique pendant les guerres de religions, n’avait pas pour autant rompu avec la famille d’Albret. A la fin du XVIème siècle, le ralliement rapide des Montespan au roi Henri IV avait contribué à la prise de pouvoir de ce dernier. Et c’est ainsi que de Barons de Montespan, les Pardaillan de Grondin, descendant de la famille d’Espagne, étaient devenus marquis de Montespan, et marquis d’Antin.

Les Pyrénées de Louis Antoine de Pardaillan de Gondrin

En 1667, Louis de Froidour est envoyé par Colbert, ministre de Louis XIV, pour répertorier les forêts des Pyrénées. A cette époque, les habitants des Pyrénées centrales avaient très mauvaise réputation. Voici vomment Froidour rend compte de sa rencontre avec l’évêque du Comminges, Gilbert de Choiseul :

Je luy dis qu’il estoit venu dans un pays où il avoit trouvé beaucoup d’ouvrage à faire et qu’on pouvait dire de luy qu’il avoit applany les montagnes parce que estant venu dans le pays le plus sauvage qui soit au monde et parmy le peuple le plus grossier, le plus brutal et le plus incapable de discipline, il avoit surmonté touttes les difficultés de l’aspreté du pays et des mœurs des peuples et les avoit si bien disciplinez qu’il n’y avoit point d’endroit dans la crestienté où la piété fût mieux établie. »

Froidour a décrit les villages « tous les villages y sont bien batis » et aussi les granges établies hors des villages « Pour ce qui est des granges, ce sont de misérables chaumières bastyes à demye coste ou sur la hauteur des montagnes qui ne sont point les plus hautes. Elles sont divisées en deux espaces, dont l’une est la bergerie mais fort étroitte, et l’autre est la demeure des paysans qui la plupart du temps sont pesle mesle avec les bestiaux...Il n'y a en ces maisons et mesme dans la plus grande partye de celles qui sont dans les vallons ny cheminée ni fenestres et à la plupart il y a double porte. Et cela pour se déffendre des neiges… Ces paysans sont quelquefois deux ou trois mois sans sortir… ; et vous serez bien étonné quand je vous diray qu’ils sont quelquefois quatre ou cinq mois sans manger de pain vivant que de layt qu’ils font bouillir avec un peu de farine de millet et de bled sarrazin sans mesme en oster le son et quelquefois avec des fèves.

J’ay eu la curiosité de voir quelques une de ces granges et j’ay admiré comme ces pauvres gens y pourvoient subsister. On y sent la fumée d’une manière surprenante, et la fumée aussy y fait un tel effet que les murs et les planchers sont noirs et luisans beaucoup plus que l’ébène.. »

Le pays est très peuplé, malgré le manque de blé et de vin. Aussi, notre témoins décrit un peuple « très mal fait et très mal basty ». Mal bâti, mais agressifs : Froidour rapporte des assassinats de juges, garde-forestiers, agents du fisc, de particuliers, nobles ou non et d’expéditions punitives en retours. Confondu avec des gabeleurs, Froidour lui-même manqua être victime de cette violence : 200 habitants de la vallée de Luchon se regroupèrent pour lui faire un sort définitif. Il réussi à dissiper le malentendu, mais il nota que « ils sont résolus à touttes extrémités pour s’en deffendre, et que quand la résolution de périr est prise, il n’importe pas comment ». Les habitants défendaient leur droit de se fournir en sel directement depuis l’Espagne, sans payer la gabelle, droit que leur contestaient les gabeleurs.

Les meurtres étaient consécutifs de rixes, d’assassinats, de vengeances d’autres meurtres ou d’atteintes à l’honneur. C’était coutumier, c’était comme ça. Et en cette fin de XVIIème siècle, les envoyés royaux comme Froidour, les intendants du roi comme et les évêques ont pour mission de remettre de l’ordre, en s’appuyant sur la justice du roi. La centralisation est en marche.

Les envoyés du roi sont aussi des pragmatiques. Froidour est particulièrement soucieux de l’attitude des paysans vis-à-vis de l’action de l’administration. D’une façon générale, il leur conserve leur droit d’usage sur la quasi-totalité des forêts. Ainsi, il décrit comment des paysans s’opposent à la coupe de sapins pour la marine royale : « Il faut que je vous dise une malice : des paysans qui, voyant une couppe que l’on faisoit de ces sapins pour estre employés à faire des mâts, ils allaient estre frustrés de leur commerce ordinaire, en ont gasté plus de 100 pour les rendre inutiles et ont presque généralement couppé tous les jeunes arbres… ». En cette fin du XVIIème siècle, les forêts des Pyrénées centrales sont en mauvais état, souvent surexploitées.

Les bois étaient vitaux pour les paysans. Il permettait de fournir le bois de chauffage, à bâtir, à faire des merrains, des cuves, des pelles, des sabots, des essieux, des chars ou tombereaux, des anneaux d’attelage, des manches d’outils, des fourches, des râteaux, des ustensiles de cuisine. Et les bois servent aussi à nourrir le bétail.

Les communautés villageoises sont propriétaires des bois et vacants. Elles peuvent devoir trois jours de corvée au seigneur, mais ces derniers sont limités dans l’usage qu’ils peuvent faire des forêts. Et bien entendu, assurer et garantir le droit collectif et celui des uns et des autres sur les bois était source d’un important contentieux qui se réglait par des amandes, qui se payaient parfois avec du vin, par des transactions entre communautés pour régler des problèmes récurrents, ou par des procès au long cours, qui se terminaient devant le Parlement de Toulouse.

Il s’agissait en particulier de traiter la question du droit de parcours du bétail, du cantonnement des bestiaux de travail, au lieu des bœufs (Bouada ou Bourilleou) qui avaient besoin de plus de pâture. Les consuls défendaient le village contre les autres villages mais aussi contre l’égoïste, qui voudrait dépaïtre sur ses seules terres en interdisant l’accès aux autres ; contre l’avare qui refuserait de donner du pain aux valets communs en charge de la garde du troupeau communal ; contre le paresseux, qui essayerait de ne pas prendre son tour d’aide à la garde de ces troupeaux de vaches, de brebis, ou même de cochons.

Une illustration de la vie dans les Pyrénées au XVIIème siècle : le conflit séculaire entre Cazaux – Débat et Lançon

Le 22 juin 1623, une transaction est signée devant notaire et devant Monseigneur Blaize Carrère prêtre et recteur du lieu de Lançon, Guilhaume Fornier, Seigneur des Correyes, Dominique Mascaron et Jehan Boneau, de la ville d’Arreau et « lieux de Basus et Gresian, habitans » entre Bertrand Sens, « syndic des consuls, manants et habitants dudit lieu de Cazaux, demandeur, et Dominique Cabriol dit Salette, syndic des consuls manants et habitants dudit lieu de Lançon défendeur et autrement demandeur ». Les deux parties s’engagent à renoncer aux procés civils et criminels « et leur circonstances et dépendances, et s’engagent à respecter les limites entre les deux communes, fixées par des bornes. L’accord prévoit aussi que les propriétaires Manants et habitants de Cazaux pourront amener leur bétail paitre au dessus des limites, et qu’ils pourrons y couper du bois et faire du charbon. Il prévoit les mêmes dispositions pour les propriétaires, manants et habitants de Lançon. Ces possibilités sont payantes et payables en mars. L’accord prévoit aussi que chaque communauté s’engage à garder ses troupeaux, qu’il s’agisse des troupeaux privés ou communs. Promis et juré sur les Saints Evangiles, l’accord ne dura qu’un temps : un procès de près d’un siècle se termina en 1763 devant le Parlement de Toulouse. Et les juges qui venaient alors de condamner à mort Callas donnèrent raison à ceux de Lançon. Le jugement ne fut plus contesté, mais les troupeaux de Lançon ont toujours eu tendance à descendre jusque à la Neste « la rivière du Loron » comme on disait au XVIIème siècle, et ceux de Cazaux à monter boire l’eau fraiche du plateau. Qui, dans cette histoire, a cassé le vase de Soisson ? Nous ne le saurons sans doute jamais. La nécessité de renouveler les pâturages des troupeaux, de faire du bois et du charbon, tout cela pouvait entrainer des rixes et des conflits tant physique avec sans doute des morts, que juridiques avec des pertes financières importantes. L’engagement des communes autour de Lançon soulignent la violence du conflit et l’engagement pour la paix des communautés alentour.

A la cour du roi Louis XIV

Louis Antoine de Pardaillan de Grondin poursuivi ses études aux collèges des jésuites de Moulins, dans le Bourbonnais, où se trouvait son père, puis à Paris toujours chez les Jésuites. Il tomba malade en 1679, et sa mère que dans ses mémoire il appelle « Madame de Montespan" (alors qu'il appelle son père "mon père"), lui rendit visite. C’était la première fois qu’il la voyait depuis l’âge de deux ans.

Madame de Montespan et ses enfants avec Louis XIV

Madame de Montespan et ses enfants avec Louis XIV

Il arriva à la cour en 1683, à l’âge de 18 ans. Il entama alors une carrière militaire avec une place de lieutenant réformé qu'il obtint grâce à sa mère. A ce moment-là, sa mère n’était plus la favorite du roi mais elle demeurait une femme influente, par ses enfants royaux qui avaient fait de beaux mariages. Elle retrouva la piété et le droiture de sa jeunesse, s’éloigna de la cours et mena une vie de jeune et de pénitence. Les rapports de la mère et du fils sont compliqués. Elle le voit peu, en cachette, l’aide peu : « La manière dure dont madame de Montespan usait avec moi » écrit-il dans ses mémoires, ou « l’année d’après [en 1685] je logeais à Clagny. Madame de Montespan me fis mettre auprès de Monsieur le Dauphin, en qualité de menin (l'un des 6 compagnons attitrés de Monseigneur, le Dauphin). C’est même le seul service qu’elle est essayé de me rendre à la cour, quoiqu’elle eu de l’amitié pour moi, à sa manière ; mais les autres considérations l’emportaient totalement. »

Le 21 août 1686 Louis Antoine de Pardaillan de Grondin épousa Julie-Françoise de Crussol d'Uzès, fille d'Emmanuel II, duc d'Uzès et de Marie-Julie de Sainte-Maure, et petite-fille du duc de Montausier. « Madame de Montespan me maria l’année d’après avec mademoiselle d’Uzès, fille du premier duc et pair de France, et petite-fille de Monsieur le duc de Montauzier, gouverneur de Monseigneur ; elle fit ce mariage parce qu’elle était fort de leurs amis. Mon père y consentit, quoique l’affaire ne fut point de son gout, ne me produisant rien. »

Ils eurent quatre enfants, dont Louis de Pardaillan de Gondrin (1689-1712), marquis de Gondrin, qui épousa en premières noces Marie-Victoire de Noailles, future comtesse de Toulouse et Pierre de Pardaillan de Gondrin (1692-1733), évêque-duc de Langres et membre de l'Académie française.

Grâce à son mariage, Louis Antoine de Pardaillan était entré dans le cercle de Monseigneur, le Grand Dauphin. Il s'était également lié avec ses demi-frères, le duc du Maine et le comte de Toulouse, bâtards légitimés de la marquise de Montespan et de Louis XIV. Mais, en dépit de grands efforts, il ne parvenait pas à se concilier la faveur du Roi. Il eut une carrière militaire honorable. C’était un organisateur hors pair, qui utilisait de nombreux espions et cartographes pour ne rien laisser au hasard, tout connaitre de l’ennemi. Saint-Simon rapporte que : « il avait toujours un dessinateur ou deux qui prenaient tant qu’ils pouvaient les plans des pays, des marches, des camps, des fourrages, et de tout ce qu’ils pouvaient de l’armée des ennemis ».

Il semble qu’il était bien considéré de la troupe comme de ses supérieurs. Pourtant, en 1707, il fut rayé des cadres de l’armée à la suite de la défaite de Ramillies. Cette lourdes défaite – 13000 tués, blessés ou prisonniers en un jour, autant de déserteurs, l’armée en déroute, la perte définitive des places fortes belges – lui fut en partie attribuée. Il semble que cette sanction soit disproprtionnée et justifiée surtout par le besoin de couvrir des proches et de vieux compagnons du roi. Cette sanction fut très durement resentie par Louis Antoine de Pardaillan.

En 1707, il perdit également sa mère. « A la fin de l’année 1707, Madame de Montespan tomba malade à Bourbon, où elle était allé prendre les eaux. J’en fut averti à Livry, où j’étais à la suite de Monseigneur. J’en parti sur l’instant et arrivé la veille de son dernier jour, je fus le triste témoin de la mort la plus ferme et la plus chrétienne que l’on puisse voir, et le mérite de bonnes œuvres et d’une sincère pénitence n’ont jamais tant éclatés qu’en sa faveur. » Madame de Bavière, mère du régent, remarqua qu’il fut le seul des enfants de la marquise de Montespan à porter le deuil.

La mort de Madame de Montespan attira sur son fils la faveur royale. La cour persévérante de Louis Antoine de Pardaillan fut enfin récompensée par le gouvernement d'Orléans en 1707 et, en 1708, par la direction des Bâtiments du Roi, où il succédait à Jules Hardouin-Mansart. En 1711, Louis XIV érigea le marquisat d'Antin en duché-pairie, et en 1724, sous le règne du roi Louis XV, le duc d'Antin devint chevalier de l'Ordre du Saint-Esprit.

Les marbres de Beyrède

C'était un excellent organisateur, avec une aptitude naturelle à commander, sachant plaire et aplanir les difficultés. Il avait le soucis du détail, appréciait d’être informer sur tout par des rapports écrits, s’intéressait au coût des choses et contrôlait personnellement les comptes du service des bâtiments. La correspondance témoigne d'une volonté d'ordre et de régularité dans le fonctionnement de son service, et il a apporté une attention tout particulière à l'équilibre financier, allant jusqu'à inscrire lui-même les mentions de remboursement sur les registres de dettes. Qualifié par Saint Simon de "parfait courtisan", il n’avait de cesse de plaire à son roi. Il estimait que c’était son devoir et aussi, il avait pour le monarque une affection réelle en lien avec sa conception de la noblesse et du rôle des ducs et pairs de France, et aussi, sans doute, avec son histoire personnelle.

Comme directeur des Bâtiments, le duc d'Antin supervisa les travaux de Versailles. Confident des projets de Louis XIV, il parvint à les faire exécuter par Louis XV, à l'instar du Salon d'Hercule.

L'organisateur

Rapidement, le duc d’Antin usa de ses réels talents d’organisateur afin de plaire à son monarque, notamment dans le domaine de l’approvisionnement des marbres qui, pour cause de guerres et de blocus, avait pratiquement cessé depuis une vingtaine d’années.

Ses possessions ayant été érigées en duché pairie en 1711, le nouveau duc d’Antin se montra très attaché à sa Guyenne natale, comme il l’appelait, et à son marquisat de Montespan. Très fier de ses origines et possessions méridionales, il eut particulièrement à coeur de développer les ressources pyrénéennes, tout en ménageant ses propres intérêts. Afin d’institutionnaliser un département des marbres, il créa les grandes lignes d’une intendance particulière en s’appuyant sur des hommes de confiance, recommandables par leurs connaissances techniques ou par leurs capacités d’administrateurs et de négociants. Sous les ordres théoriques d’un contrôleur général des marbres du roi, établi à Paris, il nomma un contrôleur des marbres des Pyrénées et du Languedoc qui allait demeurer à Montréjeau. Puis furent désignés cinq inspecteurs des marbres, à Sarrancolin pour les carrières des Pyrénées, à Toulouse, Bordeaux, Marseille et Rouen pour les ports fluviaux et maritimes par lesquels transitait ce matériau si précieux.

En 1712, le duc d’Antin plaça à la tête de ce service royal Claude-Félix Tarlé (1666-1735), un marbrier de renom chargé depuis longtemps d’entreprises pour les maisons royales. La même année, il nomma officiellement contrôleur des marbres des Pyrénées et du Languedoc Pierre de Lassus (1670-1724), juge de Rivière-Verdun, Nébouzan et Quatre-Vallées, subdélégué de la généralité de Montauban, avec des appointements de 1 200 livres par an. Ces deux hommes allaient devenir les maîtres d’oeuvre d’une profonde réorganisation de la politique marbrière nationale.

Comme l’avait fait Colbert, pour avoir une connaissance véritable des carrières et de leur potentiel, le duc d’Antin se servit de la compétence et du discernement de professionnels. Mais il abandonna tout système commercial qui fasse appel à des intermédiaires, marchands, banquiers ou compagnies, pour privilégier la soumission directe des marchés sur les lieux d’extraction et de transport. Il était dès lors possible de choisir les fournisseurs et de faire jouer une véritable concurrence, susceptible de provoquer une diminution des prix, que ce soit en Italie ou en France.

Il envoya Tarlé dès le mois de mai 1712 faire une tournée en « Guyenne, Languedoc et Provence », afin de vérifier l’état des excavations, de déterminer les possibilités d’exploitation, de trouver de nouvelles veines, d’organiser les extractions et d’optimiser les transports. Pour faciliter ses investigations, le duc d’Antin recommanda cet « homme très entendu dans son métier » auprès des intendants des provinces. Tarlé commença par expertiser les marbres déposés dans les ports de Bordeaux et de Toulouse puis, accompagné de Pierre de Lassus, il passa trois mois dans les Pyrénées « à visiter et faire ouvrir les carrières de Serancolin, Veyrede appartenant à monseigneur le duc d’Antin, Campan, St Béat, Sauveterre, Esche et plusieurs autres montagnes et carrières ». Lorsqu’il quitta la vallée d’Aure, Tarlé se rendit près de Saint-Bertrand de Comminges, à Sauveterre et Barbazan, où il visita trois carrières, notamment de brèche grise, dite brèche des Pyrénées. Il continua sa tournée par Saint-Béat, où il vit aux alentours deux carrières de marbre « jaspé rouge tirant sur l’afriquain », puis il constata les insurmontables difficultés d’exploitation des bonnes veines de blanc. Ensuite, il partit pour la Provence, où il demeura jusqu’en octobre.

Revenu à Paris, Tarlé rendit et détailla au directeur un « Rapport » rédigé au cours de son périple, en grande partie par Pierre de Lassus. D’après ces données, le duc d’Antin prit un certain nombre de mesures pour améliorer le service des marbres. Il prescrivit à Lassus de nommer un inspecteur des carrières à Sarrancolin, puis d’établir trois dépôts à Montréjeau, Toulouse et Bordeaux. À Toulouse, il fut autorisé à nommer inspecteur son fils Marc-François, alors âgé de vingt ans, qui poursuivait dans cette ville ses études de droit.

Les fonctions de Lassus père furent dès lors multiples : passation des marchés d’extraction et de transport, surveillance des excavations et des marbriers, application de « règlements sur les carrières », contrôle des commandes et de la qualité des blocs, inventaire de la production, indemnisation des ouvriers accidentés ou des paysans mis à contribution, rendu mensuel des comptes au directeur. Lassus devint également le trésorier de cette vaste entreprise et il avança systématiquement de fortes sommes pour payer officiers, carriers, journaliers ou radeliers, ces conducteurs des radeaux qui emportaient les marbres sur la rivière de Neste et sur la Garonne, en un incroyable périple qui les menait jusqu’à Bordeaux. Le duc d’Antin chercha à rationaliser la production en la surveillant et en l’améliorant dès les carrières, mais aussi à optimiser les transports, tant terrestres que fluviaux ou maritimes, pour lesquels il prit des mesures importantes, après avoir requis plusieurs mémoires sur les modes de convoyage passés. Mais des intérêts plus personnels étaient également en jeu et ce n’était pas un hasard s’il avait décidé, le 22 avril 1712, de nommer au poste clef de contrôleur des Pyrénées et du Languedoc Pierre de Lassus, qui était jusqu’alors l’intendant de son marquisat de Montespan, en Bigorre et en Comminges.

Le bois du Louron

Le duc d’Antin n’était pas seulement seigneur de l’actuel village de Beyrède, au dessus de Sarrancolin. Il possédait également de riches forêts et de nombreux domaines dans les Pyrénées et il sut habilement faire prospérer tant le service du roi que ses propres affaires. La meilleure manière de transporter les produits pondéreux était alors la voie fluviale, et durant des années, les radeaux qui portèrent les marbres pyrénéens furent formés de bois de valeur issus des propres futaies du directeur des Bâtiments du roi, qui furent ainsi convoyés gratuitement et sans taxes jusqu’à Bordeaux, où ils furent vendus par l’intermédiaire d’Aziron, « marchand actif et affectionné » qu’il avait pris soin de faire nommer inspecteur des marbres du port. Le bois était alors une ressource essentielle et de grande valeur, pour l’énergie comme pour la construction, terrestre et maritime.

Ce fut par l’entremise de son homme de confiance, Pierre de Lassus, parfait connaisseur de ses biens, de la région et de ses usages, que le duc réalisa ces discrètes mais lucratives opérations. Il était déjà extrêmement fortuné et il agit surtout pour se mettre en position de plaire. Il était important qu’il apparaisse comme créancier des services royaux. Ce n’était donc là qu’intérêts bien compris, sans oublier ceux du Roi, pour lequel on rechercha les plus belles roches. Le premier envoi pyrénéen, effectué en 1712 sur l’entame des nouvelles carrières, alors que les contrôles n’étaient pas encore en place, fut reçu de manière mitigée. Le duc écrivit à Lassus : « [Tarlé] a examiné bloc à bloc tout ce que vous avez envoyé dont par parenthèse il y en a quantité qui ne valent rien et d’autre qui sont si beaux qu’ils donnent envie de tacher à faire encore mieux ». Mais très vite, la qualité s’améliora considérablement et en avril 1715, le directeur connut à Versailles, devant le Roi, la consécration de ses efforts :

« Je présentay hier au Roy sept tables de tous les marbres que vous m’avez envoyés, il les trouva fort beaux et toute la cour qui les examina longtemps. Le veirède emporta le prix, dont je suis fort aise. Il s’agit présentement de continuer ces travaux avec grand soin et surtout pour la qualité de ces marbres car nous n’avons besoin que des beaux et non de la quantité. Je vous ordonne donc à l’avenir de rebuter généralement tous les blocs qui ne seront pas de beau marbre puisque la dépense n’est pas à les tirer mais à les voiturer, et d’avoir un soin particulier dans chaque carrière pour suivre et chercher les meilleurs veines quand même la dépense en devroit estre plus forte car il s’agit de votre honneur et de celuy des Pyrénées et je ne veux rien épargner pour cela ».

Le choix du directeur était ainsi clairement exprimé : « je vous le répète encore ce n’est point la quantité des marbres qu’il me faut c’est la qualité », quels que soient les coûts. D’une part, il considérait que l’opération serait, à terme, rentable, mais d’autre part et surtout, il s’agissait d’un point d’honneur, qui ne se limitait ni à Pierre de Lassus, ni même à ses chères Pyrénées, mais qui le concernait directement. Considéré comme « le plus habile et le plus raffiné courtisan de son temps », selon Saint-Simon, il avait beaucoup investi dans les marbres offerts au souverain, qui appréciait tant leurs dessins et leurs couleurs, notamment le campan, comparé à l’émeraude, ou encore le sarrancolin, assimilé à l’agate. Le marbre de Beyrède finit par être appelé « marbre d’Antin ».

Le duc d’Antin se servit de multiples services royaux pour arriver à ses fins. Il fit tracer des routes par un ingénieur du roi, délégué tout exprès dans la région, qui donna également des plans pour restaurer des ponts et des digues dont le financement fut confié à la sénéchaussée. Ayant requis plusieurs rapports sur les anciens modes de convoyage des marbres, il s’entendit avec le ministre de la marine pour qu’une frégate de guerre soit modifiée et armée spécifiquement pour les transports entre l’Italie, Marseille, Bordeaux et Rouen, dès 1713. La mort de Louis XIV ne mit pas fin à ces initiatives et entre 1716 et 1719, il chargea un ingénieur cartographe de faire le relevé des cours d’eau navigables des Pyrénées à l’Océan, dans le but d’améliorer le passage des radeaux.

La navigation sur la Neste et sur la Garonne

Rendre les cours d’eau navigables au mieux avait toujours été un souci royal, qu’avait exprimé François Ier en 1520, et qui fut toujours repris par l’administration, particulièrement dans les Pyrénées, riches en bois pour la marine. Mais l’organisation de véritables actions avait toujours été difficile, en raison notamment de la méconnaissance des lieux. Le duc d’Antin tenta d’y remédier, grâce aux bonheurs de la cartographie.

Dès 1668, le grand maître des Eaux et Forêts, Froidour, avait tenté de mener une réforme énergique pour nettoyer les rivières, réguler les flots, éliminer les obstacles, aménager les retenues et les chemins de halage afin d’améliorer la navigation des cours d’eau de son ressort. En avril 1668, il fit publier une ordonnance qui stipulait que les riverains devraient désormais tenir les cours des rivières « libres et nets ».

Les travaux que fit entreprendre Froidour ne furent toutefois pas suffisants pour libérer durablement les cours de la Neste ou de la Garonne, et d’autres grands maîtres furent contraints de demander de nouvelles interventions des propriétaires riverains. En 1693, un Mémoire concernant le dépérissement de la navigation sur les rivières de Garonne, Ariège et Tarn déplorait de fréquents naufrages sur la Garonne, « car les bords sont sans chemin, encombrés d’arbres et de troncs, les pieux d’anciennes digues ne sont pas arrachés, des rochers laissés en place, les moulins flottants sont placés au seul gré de leurs propriétaires ».

La navigation se révélait périlleuse et coûteuse, ce que confirma un arrêt de 1703 de la chambre des Eaux et Forêts du parlement de Toulouse, repris dans un règlement de juin 1713 qui imposa le curage et l’élargissement des ruisseaux, ainsi que l’obligation, pour tous les moulins et passelits, d’être munis d’« épanchoirs de 4 cannes de large et 4 pans de profondeur », des trouées d’un peu plus de 7 m de large par 90 cm de profondeur, suffisantes pour le passage des radeaux. L’ombre du duc d’Antin se profile derrière cet arrêt, car les envois de marbre reprenaient alors, avec la fin de la guerre de Succession d’Espagne, et il fallait assurer leur passage.

Lorsqu’il avait nommé son fermier général Pierre de Lassus à l’inspection des marbres de Languedoc et Guyenne, le directeur lui avait clairement expliqué ses intentions, qui concernaient autant les carrières que les forêts dont il était propriétaire aux alentours, notamment aux abords d’Arreau. Il s’agissait donc des forêts des Bareilles, de Cazaux – Débat et du Louron. En cela, il ne faisait que perpétuer l’habitude qui avait été prise autrefois de descendre les marbres « sur les quantités de bois destinés à la marine », mais il le fit à son propre profit. En 1714, il écrivait à Lassus : « envoyez moi le nom de mes bois pour que je fasse expédier par M. de Pontchartrin une permission pour les couper et que personne ne puisse troubler les vendeurs ny acquéreurs, j’espère en tirer un profit considérable ». L’autorisation ayant été délivrée par le ministre de la Marine, Lassus fit couper ces bois, les fit évacuer par les chemins de débardage ouverts aux frais du Roi puis en fit confectionner des radeaux. Ceux-ci étant arrivés au terme de leur voyage, en 1714, le directeur des Bâtiments écrivit encore à Pierre de Lassus qu’il fallait signifier à son protégé Aziron, inspecteur des marbres de Bordeaux :

« De vandre à mesure que les bois arriveront et de les vandre leur prix, d’en emploier le produit aux dépences qu’il est obligé de faire pour les marbres, de vous en envoier les comptes en bonne forme pour me faire rembourser icy […] les première pièces sont toujours difficiles à venir, j’espère à présent tirer un produit raisonnable des marbres de vos pirénées par vos soins et vos arrangements ».

Les cartes

L’affaire était bien organisée, mais il chercha à l’améliorer encore en faisant appel aux techniques les plus avancées de la cartographie afin de localiser et d’estimer les problèmes qui pouvaient se poser sur la Garonne, grâce à un relevé très précis de son cours. En mai 1716, alors que la qualité des marbres de Sarrancolin et de Campan réceptionnés à Paris dépassait toutes les espérances, le directeur des Bâtiments écrivit à Pierre de Lassus :

« J’envoye en Guyenne le sr Matis arpenteur du roy, homme très habile et en qui j’ay grande confiance pour lever le cours de la Garonne, toutes les carrières de marbre des Pyrénées, les nouveaux chemeins et tout ce que vous croirez nécessaire pour le service, il lévera en même temps toutes mes terres, vous verrez combien l’ouvrage est beau et utile ayant fait ainsi dans toutes mes autres terres ».

Il lui demanda d’assister et de défrayer sur le compte des Bâtiments celui qui était alors le meilleur cartographe royal, de même que ses assistants, et de lui fournir « les gens nécessaires pour l’instruire et vous serez charmé quand vous verrez la besogne faite ». Matis partit de Paris le 15 juin par le carrosse de Bordeaux, avec pour collaborateurs « Dubois et Matis le Jeune, dessinateurs », en fait Nicolas Matis, son neveu, alors âgé de quinze ans . Ils demeurèrent ensemble trois semaines, durant lesquelles ils firent une première série de relevés, pour mettre en œuvre la méthode à respecter par la suite.

Puis le cartographe revint à Paris ; il laissa continuer ses deux assistants alors que lui-même opérait les mises au propre. Ainsi, en janvier 1717 étaient versées 1 300 livres « aux hommes qui travaillent aux cartes, plans et dessins de la Garonne et des environs de Bordeaux pour le transport des marbres des Pyrénées ».

Trois années de suite, de 1721 à 1723, Matis revint « dans la province du Languedoc et Pyrénées pour en lever les cartes, plans et dessins » mais aussi pour tracer et faire dresser des chemins pour les rendre praticables, visiter et sonder la Dordogne, la Vézère et la Neste « pour les rendre navigables pour le transport des marbres ». Un paiement de 6 500 livres, effectué en mai 1725, indique également qu’il avait fait donner des suites pratiques à ses travaux et qu’il avait véritablement amélioré le cours des rivières. Tous les lieux d’habitation ont été notés sur les cartes. En effet, des conflits éclataient souvent avec les riverains du fleuve, qui étaient requis pour l’entretenir, où qui y installaient des digues, moulins ou pêcheries faisant obstacle à la navigation. Il fallait alors au directeur des indications sûres pour intervenir efficacement auprès des intendances concernées.

http://www.archives.yvelines.fr/arkotheque/cartes_et_plans/cartes_plans_resu_rech.php

Site des archives des Yvelines, sur lequel il est possible de consulter les cartes de Matis

Marc-François de Lassus, qui avait reçu la charge de subdélégué de l’intendance de Navarre-Béarn et de la généralité d’Auch dans le département de Rivière- Verdun, Nébouzan et Quatre-Vallées, se fit remarquer par son efficacité dans la campagne pyrénéenne lors du conflit contre l’Espagne, en 1719. Sa connaissance des hommes mais aussi du terrain, probablement grâce aux relevés de Matis, lui permit d’organiser au mieux le ravitaillement et le soutien des troupes royales, à tel enseigne qu’il fut distingué par le maréchal de Berwick puis pensionné à vie sur le trésor royal.

Enfin, ces cartes donnent le tracé exact du Chemin Royal pour les marbres établi en 1713 pour réduire considérablement les coûts et les difficultés de transport des marbres de Campan. Ceux-ci, en effet, depuis le plateau d’Espiadet au-dessus de Sainte-Marie-de-Campan, étaient traditionnellement portés jusqu’à Montréjeau, où ils rejoignaient la Garonne, à l’aide de longs charrois, qui duraient neuf jours au moins et nécessitaient des dizaines de paires de boeufs. Or, ceux-ci étaient réquisitionnés sur les populations, ce qui suscitait de vifs mécontentements. Comme l’indique le plan de Matis, Lassus profita du fait que la haute vallée de l’Adour et la vallée d’Aure sont parallèles. Il fit ouvrir une route qui, de la carrière d’Espiadet, montait au col de Beyrède, où l’on charroyait les blocs en une seule journée puis, de là, par un chemin rapide tracé jusqu’à Beyrède, ils étaient descendus sur des traîneaux et rejoignaient la Neste aux abords de Sarrancolin. « Ainsi, en passant par-dessus la montagne, mon intention estant de faire du bien au pays et non de luy porter aucun domage ».

De fait, l’amélioration de la fourniture des marbres eut en Comminges certaines retombées positives, notamment par la régulation de la navigation fluviale, voie principale de tout négoce. Comme le soulignait Marc-François de Lassus, en 1758, en faisant le bilan de l’activité des carrières de la vallée d’Aure qui allaient entrer en sommeil durant plus d’un demi siècle : « cela a ouvert le commerce aux espagnols […] on n’y respiroit que misère avant ce temps là ».

Extrait de la carte représentant le nord de la vallée du Louron. Le contour de la seignerie de Montespan en Louron et autour de Sarrancolin est indiquée sur la carte

Extrait de la carte représentant le nord de la vallée du Louron. Le contour de la seignerie de Montespan en Louron et autour de Sarrancolin est indiquée sur la carte

Où l’on retrouve les miquelets

Cette époque fut certainement vécue intensément dans les villages du Louron et à Cazaux-Débat, village le plus proche où le bois était exploité. Cela profitait aux communautés qui vendaient le bois, et aussi à tous ceux qui se trouvaient impliquer dans la coupe, le débardage, l’acheminement des troncs. Il y avait du travail pour beaucoup : les paysans réquisitionnés étaient indemnisés. Le travail attira aussi des professionnels du bois, du débardage, de la fabrication des radeaux. C’est sans doute à cette époque que pris corps la légende des miquelets présents au dessus de Cazaux – Debat. C’était juste après la fin de la guerre avec l’Espagne, où ces fantassins de montagne espagnols furent la terreur des vallées, mais sans jamais parvenir jusqu’à Cazaux – Debat. Et si ces miquelets n’avaient jamais été rien d’autre que des bucherons espagnols à la solde du duc d’Antin et du baron de Lassus ? C’est bien possible. De l’autre côté de la frontière, les bucherons espagnols sont passé maitres dans l’art de descendre les torrents et rivières pyrénéennes jusqu’à l’Ebre, après avoir attachés les troncs en radeaux. Il est possible que ses compétences aient été recherchées par le baron de Lassus pour abattre les arbres, les faire descendre à la rivière et surtout, les attacher ensemble et les faire descendre jusqu’à Sarrancolin puis Montréjeau, Toulouse et Bordeaux. On peut ainsi imaginer l’existence de camps saisonniers d’ouvriers du bois côtoyant pendant une trentaine d’années les habitants du village et laissant aux habitants du village un souvenir mitigé : « Qu’es u miqualet ! » (espèce de miquelet : épithète lancée aux enfants dissipés du village de Cazaux – Debat encore à la fin du XIXème siècle).

Le duc d’Antin laissa dans les vallées le souvenir d’un homme qui était toujours disposé à aider. Il traitait avec efficacité les doléances que lui adressaient les consuls, syndics ou particuliers des villages dont il était le seigneur.

La cheminée du salon d'Hercule, à Versaille

La cheminée du salon d'Hercule, à Versaille

Le courtisan

Le duc d’Antin fut très proche du roi Louis XIV, qu’il sut convaincre de ses mérites. Il voulait être apprécié pour sa valeur. C’était un homme habile, bienveillant, sérieux et digne.

http://books.google.fr/books?id=BRstAAAAYAAJ&hl=fr&pg=PA17#v=onepage&q&f=false

Les rapports du duc d'Antin à Louis XIV, annotés par le roi

Il ne participait pas aux intrigues de cours, ni aux commérages comme en atteste ses mémoires. : « Ainsi je n'antrerai point dans l'intérieur de la Cour ny dans toutes les tracasseries du Palais Royal, hors qu'elles ne devinrent sources de quelque événement qui en vallût la peine. Aussy bien ne serois-je guère propre à les écrire n'en sachant aucune du moins que quand elles sont survenues. Mon âge et mon tempérament m'éloignent de ces sortes de bagatelles qui n'ont jamais été de mon goût. Je m'en tiens à remplir les obligations des emplois qui m'ont été confiés et à une cour sérieuse et décente à l'égar du régent. J'espère par là remplir mieux mon devoir et garantir mon état dont je suis très content de la vicissitude des favoris ». Dans ces mémoires, il a aussi cette formule : « une loi primordiale que je me suis imposée dez mon enfance de ne dire jamais du mal de personne. »

Il faisait impression par ses capacités, comme l'a décrit Saint Simon, qui ne l'épargnât pourtant peu : « Quoiqu'on y fût fort habitué aux beaux rapports de M. d'Antin, l'exactitude, la précision, l'explication foncière, la netteté, la force, l'agrément de son rapport avait enlevé la compagnie. (...) On peut dire qu'il excellait en ce genre sur tous les magistrats. Avec cela une mémoire qui n'oubliait pas les plus petites choses, qui ramenait tout avec ordre, justesse et clarté, qui ne se méprenait jamais en aucun fait, nom propre, date et qui, à mesure qu'il en citait, disait à l'évêque de Troyes devant qui d'ordinaire il mettait la pile de ses papiers, le cahier, la liasse, la page où il trouverait ce qu'il citait, et dans le moment même M. de Troyes le trouvait et le lisait tout haut ».

Relatant sa participation aux réunions des ducs et pairs, le duc d’Antin dit à plusieurs reprises combien il souffrait de leur confusion et comment il essayait de donner un peu de méthode et de cohérence aux débats : « On propose ensuite [dans une réunion sur l'affaire du duc de la Force] la lecture de deux mémoires [...] sur quoi je dis à la compagnie que dorénavant je ne signerois, n'approuve- rois plus aucune requête ni mémoire que je n'eusse examiné à tête reposée dans mon cabinet, que je n'avois pas assez de lumières pour juger de pareilles pièces sur une simple lecture interrompue de beaucoup de considérations extérieures aux faits. »

Au service du Régent

Extrait du portrait du duc d'Antin

Extrait du portrait du duc d'Antin

Aussi, à la mort du roi, il était prêt à quitter la cours, pour retourner à ses affaires privées. Il avait alors 50 ans. Toutefois, Philippe d’Orléans, régent du royaume durant la minorité de Louis XV, décida de lui conserver sa fonction aux bâtiments de France. Il le nomma même président du Conseil du Dedans, sorte de ministère de l’intérieur. Le système de gouvernement par des Conseils (du dedans, des finances, des affaires étrangères, de la marine, etc.), qui voulait rendre à la noblesse et autres corps constitués (noblesse, membres des Parlements) un peu du pouvoir confisqué par Louis XIV et ses conseillers d’Etat fut un échec. Le duc d’Antin analysa lucidement les raisons et les conséquences de cet échec :

« il faut avouer que quoyque le Conseil de régence soit le poste le plus distingué, et qui devroit être le plus flatteur, on n'y a rien à faire; on n'y traite d'aucune affaire d'Etat, on n'en entend même pas parler hors qu'elle n'aie mal réussi, et qu'il faille prendre des partis qu'il faut qui soient autorisez. On y lit les dimanches les dépêches publiques des ministres étrangers, sans faire ni raisonnements ni commentaires, on ne nous communique jamais ni le parti que l'on a pris ni les réponses que l'on a faites ; ainsi à proprement parler, ce jour n'est employé qu'à la lecture d'une gazette prématurée de quelques jours. Le lundy, on y rapporte quelques légères afaires de particuliers, quelque incident arrivé aux colonies, ou quelque dispute d'officiers. On peut juger avec cela de l'importance de nos places. Il faut dire, à la justification de M. le Régent, qu'à la manière dont il est composé et au peu de secret qu'il y a, il auroit grand tort de traiter autrement un ramassis de toutes sortes de caractères et de génies, dont la plupart sont peu versés dans les affaires »

« II y avoit longtemps que les conseils importunoient Mr le Régent. Peu de temps après leur établissement il commensa à prendre quelque ombrage sur eux et il ne manqua pas de gens qui luy représentèrent qu'il avoit oté Mrs les secrétaires d'Etat parce qu'il[s] avoi[en]t trop de crédit, et qu'au lieu de gens de cet étage, il avoit placé à la teste de toutes les affaires des hommes de la première condition, qui, joignant leur considération particulière aux premières places, auroient bientôt un crédit bien plus dangereux que Mrs les secrétaires d'Etat, dont il étoit toujours le maître.

« Ce qu'il y a de sûr, c'est que son Altesse Royale., loin de soutenir son ouvrage et de tirer des gens qu'il avoit mis en place les services qu'ils étoient capables de luy rendre, il n'a pas été fâché de diminuer leur considération et faire voir au public qu'ils avoient fort peu de crédit.

« II faut dire la vérité, plusieurs se sont mal conduits, je n'en pourrois pas dire davantage sans faire le procès à des gens que je m'honore et de qui je suis ami. Onn'a plus entendu parler que de querelles, d'envies et d'animosité. Je ne suis point étonné que tout cela n'ait importuné le Régent, surtout ne voulant pas se donner la peine d'y mettre ordre, pour plus d'une raison.

« II faut dire de plus, je ne crois pas de bonne foy que cette sorte de gouvernement soit fort conforme à l'esprit de la nation. Je ne puis même m'empêcher de dire icy ce que le feu roy m'a fait l'honneur de me dire après la mort de feu Monseigneur le Dauphin, duc de Bourgogne. Il trouva dans la cassette quelques plans de cette sorte de gouvernement que feu Mr de Cambray, Fénelon, et Mr le duc de Beauvilliers avoient fort goûtez. Après les avoir lus et examinez, il me dit : « Ils ne connoissent guère les François, ny la manière dont il faut les gouverner ».

« En effet la pluralité des gens à qui on avoit à faire rendoit tout difficile et les expéditions lentes. Je ne peus cependant refuser à la vérité et au mérite de ceux qui composoient le Conseil du dedans du royaume de dire que le public en a toujours paru content, et que nous avons toujour vescu ensemble comme la famille la mieux unie».

« Ce n'est pas les seuls changements que nous verrons dans le gouvernement. Je souhaite toujours comme bon François et comme serviteur très fidelement attaché à Mr le Régent que ce soit pour la gloire et pour le bien de l'État, mais je ne puis m'empêcher de dire qu'il est très fâcheux pour Mr le Régent d'avoir été obligé de changer après trois ans toute la forme nouvelle qu'il avoit donné au gouvernement, ce qui ne peut causer qu'une mauvaise impression chez les étrangers, même parmy le public toujours enclin à blâmer les actions les plus sages des maîtres.

« Pour la noblesse, elle ne s'en relèvera jamais, il en faut convenir à mon grand regret. Les roys qui régneront dans la suite verront que Louis 14, un des plus grand roy du monde, ne vouloit jamais emploier les gens de qualité dans aucune de ses affaires, que Mr le Régent, prince très éclairé, avoit commencé par les mettre à la tête de toutes les affaires, et avoit été obligé de les ôter tous au bout de trois ans; que pourront-ils et que devront-ils en conclure? que les gens de condition ne sont point propre (sic) aux affaires et qu'ils ne sont bons qu'à se faire tuer à la guerre. Je souhaite de me tromper, mais il y a bien de l'apparence que les maîtres penseront comme cela, et ils ne manqueront pas de gens qui les confirmeront dans cette opinion.

« A quoi en avons-nous l'obligation ? Sans doute à ceux qui ont soufflé l'esprit de discorde et de dissention, qui ont voulu s'arroger tout le crédit en détruisant les autres dans l'esprit du régent, qui n'ont pu souffrir le mérite sans chercher à le diminuer, qui ont voulu marcher seuls et qui, voulans détruire les autres, les ont forcés à travailler à leur ruine, funeste succez de part et d'autre. »

Un attrait pour la finance

Dès le début de la Régence, les affaires financières retiennent son attention. Tout en avouant son incompétence en la matière, il regrette de voir les ressources du roi aux mains des financiers. Il prête grande attention à la Chambre de justice et aux mesures prises ou envisagées par le duc de Noailles, puis il salue avec espoir l'expérience de Law, d'autant plus que celui-ci a pris soin de se le concilier en l'initiant à ces questions.

Law avait conçu un système hardi. Un pays, disait-il, est d’autant plus riche qu’il fait plus de commerce. Or le commerce dépend de l’abondance de la monnaie et de la rapidité de sa circulation. La monnaie n’étant qu’un instrument d’échange des marchandises, sa nature importe peu. Il n’est pas nécessaire de recourir à l’or et à l’argent, métaux rares dont beaucoup de pays sont dépourvus. La monnaie la plus commode est la monnaie de papier qui se fabrique et se transporte facilement.

L’État doit se faire banquier et émettre sous le nom de billets de banque du papier-monnaie que l’on pourra d’ailleurs échanger contre de l’or ou de l’argent. L’État doit aussi se faire commerçant; les bénéfices qu’il réalisera lui permettront de rembourser la dette publique.

Le régent ne permit d’abord à Law que de fonder une banque privée, la Banque générale. La Banque générale reçut des dépôts d’argent, elle consentit des prêts aux commerçants et elle émit des billets remboursables en espèces métalliques. Elle fit de si bonnes affaires qu’elle fut reconnue Banque d’État (1718). Law fonda également une compagnie commerciale par actions (1717). Sous le nom de Compagnie d’Occident, puis de Compagnie des Indes (1719), elle reçut le monopole de tout le commerce colonial français; enfin, elle se substitua aux traitants pour la levée des impôts indirects. Au début de 1720, Law réunit la Banque à la Compagnie. Tout le monde voulut alors avoir des actions ; on en vint à payer 20 000 livres des actions de 500 livres. Mais les dividendes (c’est-à-dire les bénéfices rapportés par chaque action), ayant été infimes, la confiance du public disparut.
On se mit donc à vendre les actions, et leur valeur baissa. Pris de peur, le public perdit aussi confiance dans les billets et exigea leur remboursement en or et en argent. Comme la valeur des billets émis dépassait de beaucoup l’encaisse de la banque, celle-ci fit faillite, et Law s’enfuit. Le système avait donc échoué. Le commerce maritime en avait reçu une vive impulsion, mais la confiance du public dans les banques fut pour longtemps détruite en France.

Le duc d'Antin, éclairé et consulté sur la mise en place du Système, donna au régent un avis favorable. Bien informé, il tient ensuite une chronique précise des événements. On a lieu de supposer par ailleurs que, grâce à ses bonnes relations avec Law, il fut un des gagnants du Système. Il joua un certain rôle dans l'affaire en aidant le régent à revenir sur l'arrêt du 21 mai 1720, ce qui entraîna bien sûr une rupture avec Law. Il assista ensuite avec inquiétude à la fuite en avant de Law et à l'effondrement du Système en se désolant, en bon Français, de l'échec d'une tentative si prometteuse pour l'économie du pays, et qui replaçait le roi à la merci des gens de finance.

Le retrait

Jusqu’à la fin, le duc d’Antin ne manqua pas de s’étonner de la faiblesse humaine devant les passions, et en particulier l'ambition et la cupidité. Comment expliquer que tous les hommes se trompent ainsi de route ? Comment, surtout, expliquer l'attachement à la vie de cour ? Le duc d'Antin la décrit comme un lieu où être heureux est un crime, que les commérages, les jugements hâtifs, le manque d'amitié sincère, rendent un enfer. dans son château de Petit-Bourg, la porte menant de sa chambre à son cabinet était ornée d'un tableau de Desportes représentant Le rat retiré du monde dans un fromage de Hollande.

Le duc d'Antin ne trouva jamais le courage de se décider à quitter la cour, et fut d'ailleurs bien conscient de sa faiblesse. Le soin de sa famille à établir, d'abord, puis les responsabilités qu'on lui a confiées, surtout son attachement au roi sont invoqués pour excuser cette faiblesse. Dans ses mémoires, le duc d'Antin qui ne s'épargne guère, avoue : « Je demeure courtisan, et je m'y ruine par toutes sortes de dépenses, plus encore pour satisfaire mon goût que pour plaire au roi, quoiqu'il en soit le prétexte »

Pourtant, à partir de 1722, il se retire peu à peu de la cour. Il veut pouvoir installer ses petits enfants.

Son fils ainé est mort en 1712, à l'âge de 22 ans, laissant deux fils. Son fils cadet est entré dans les ordres.

« Le régent a ajouté aux grâces qu’il m’a faite la survivance des charges pour ma famille. Il a donné a monsieur de Bellegarde, mon second fils, la surintendance des bâtiments, charge considérable par les appointements. Aussi, elle convient à un cadet pauvre. Mon gouvernement a été donné à Monsieur de Gondrin, mon petit fils aîné, et ma lieutenance générale d’Alsace à monsieur d’Epernon son cadet. Ainsi, voilà toute ma famille établie sortablement. »

Ainsi, en 1722, il démissionna de son titre de duc et pair pour le laisser à l’ainé de ses petits – fils. Ce dernier, deuxième duc d'Antin, est l’héritier des terres des Pyrénées, qu’il transmit plus tard à sa fille ainée, elle-même épouse de François Emanuel de Crussol, duc d’Uzés. C’est ainsi que cette noble famille du Lnaguedoc se trouva en procès durant tout le début du XIXème siècle contre les communes de la vallée du Louron, au sujet du droit à exploiter les forêts. Le deuxième duc d’Antin est connu pour avoir été le premier grand maitre de la grande loge de France.

Lors de la disparition du duc d'Antin en 1736, à l'âge de 71 ans, le duc de Luynes salua ainsi sa figure : « C'est une grande perte pour le roi, à qui il étoit fort attaché, et pour la cour, où il étoit presque le seul qui représentât dignement ». Ce fut aussi le dernier descendant de la maison d’Espagne à s’être intéressé au devenir de ces vallées pyrénéennes dont ils étaient issus.

Sources :

Article de Pascal Julien :

http://www.societes-savantes-toulouse.asso.fr/samf/memoires/t_65/231-242_Julien.pdf

Article de Sophie Jugie : le duc d'Antin ou le parfait courtisan

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bec_0373-6237_1991_num_149_2_450619

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B
tres beaux articles. Très instructif<br /> Merci<br /> JPB
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B
très beaux articles, instructifs.<br /> Merci<br /> JPB
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