Dans les années 1860, Dominique Rey, instituteur, épouse Jeanne Marie Couget, ultime héritière d’une vieille famille présente à Cazaux –Debat depuis au moins le 17ème siècle, les Couget.
La bergerie des Couget, à Poumamude, en face du village de Cazaux - Debat
« L’an mil huit cent quatre vingt huit, le treize du mois d’octobre à six heures du soir, par devant nous Fontan Joseph Gabriel, maire officier de l’état civil de la commune de Cazaux Debat, canton de Bordères, Département des Hautes Pyrénées, sont comparus Ferrou Dominique âgé de cinquante six ans et Ferrou Barthélémy âgé de vingt sept ans, père et fils l’un et l’autre cultivateurs domicilés à Cazaux Debat voisins de la défunte, lesquels nous ont déclaré que ce même jour à onze heures du matin Couget Jeanne Marie âgée de quarante six ans ménagère domiciliée à Cazaux-Debat mariée à Rey Dominique instituteur domicilié dans la même commune fille de feu Bertrand Couget natif de Cazaux – Debat et de feu Bertrande Cadeillan native de Bordères mariés quand vivaient domicilés à Cazaux –Debat est décédée en sa maison ainsi que nous nous en sommes assurés, et les déclarants ont signé avec nous le présent acte de décès après que lecture leur à été faite
Signés : Ferrou B. Ferrou D., Fontan Joseph maire. »
La femme qui vient de décéder en ce jour d’autonme de l’année 1888 était issue d’une vieille famille de Cazaux Debat, les Couget.
Les Couget étaient des agriculteurs et des éleveurs. La famille possédait environ 7 hectares de champs, de prés et de vergers, notamment derrière leur ferme et sur l’autre versant de la montagne, à Poumamude où ils avaient une bergerie.
Les foins au prés de Poumamude, au début des années 1970 - la technique est la même que du temps des Couget : le foin est chargé sur un trainau tiré par une paire de vaches, et déchargé "en vrac" dans le fenil de la bergerie
Ils habitaient une ferme située à l’extrémité nord du village par rapport à l’église. Elle était située en dessous du chemin qui mène à Jézeau et à Trespeyre. Elle était relativement isolée des autres habitations situées dans la carrère, dans la rue située entre la carrère et l’église, et dans la rue qui part de la croix et rejoint le chemin de Ris derrière la maison Bégué. Et au dessus, il y avait les maisons appellées aujourd’hui « Bégué » et « Davezan ». Ce n’est qu’au début du 19ème siècle que les Féraud font construire la maison qui se trouve aujourd’hui au dessus de la maison qui était autrefois celle des Couget.
Dans ce quartier du village, la configuration a beaucoup changé entre le début et la fin du 19ème siècle. A la fin du 19ème siècle, la ferme des Couget s’est retrouvée être à l’entrée du village par la nouvelle route. Les travaux ont principalement impacté les propriétés des Couget, de part et d’autre de la nouvelle route. La route passait au raz de leur ferme, le long de la grange et de la maison d’habitation. Elle les a obligés à revoir l’entrée de leur ferme et a entrainé divers dégats des eaux.
Marie Couget et son mari ont fait plusieurs pétitions auprés de l’administration des Ponts et chaussées et de la commune de Cazaux-Debat pour faire valoir leur droit. Quand elle est morte, son certificat de décès ainsi qu’un document désignant ses deux fils encore mineurs comme étant ses seuls héritiés figuraient dans un dossier de la Préfecture relatif au règlement d’une indemnité à lui verser.
1667 : Jacques Couget ou le destin d’un cadet
On trouve leur trace dans l’Etat civil de la commune au moins depuis le 17ème siècle :
« L’an mille six cent soixante sept, le troisième jour du mois de février, est née une fille de Marie Lacaze femme à Jacques Couget dudit lieu de Cazaux en Aure et a esté baptisée par moi vicaire soussigné en l’église paroissiale le nom de Marie a été donné par ses parain André et Maraine Bertrande du nom de Lacaze mère et fils
../… Fontan prêtre et vicaire »
La situation de ce Jacques Couget apparait peu enviable de prime abord : quand on lit les dispositions de l’état civil, le fait qu’il soit cité après sa femme, ce qui n’est pas toujours la règle, le fait que sa belle-mère et son beau-frère soient les maraine et parrain de sa fille, tout cela montre la place qu’il occupait dans sa famille…
Celle d’un cadet.
La famille, ou « maison », pyrénéenne était très hiérarchisée. L’ainé, qui pouvait être l’ainée, était le chef de famille, quel que soit son sexe. C’est lui, ou elle, qui participait aux conseils de village, qui représentait la famille, prenait les décisions. Ses cadets, ou cadettes, lui devaient obéissance. Ils pouvaient être mariés dans une autre famille, comme cela est arrivé à ce Jacques Couget : « il est parti gendre » chez Lacaze. Les cadets qui ne pouvaient être mariés à un ainé restaient célibataires. Ils pouvaient être prêtre, ou berger. Si l’ainé avait le pouvoir politique, le partage des connaissances garantissait aux cadets une influence certaine. Ainsi, jusqu’au XVIIème siècle, l’ainé était généralement illettré. Il dépendait donc de son cadet devenu prêtre pour tenir les livres de compte, rédiger les actes de commerce ou notariaux. Il dépendait aussi des compétences de son frère, ou de sa sœur, berger pour tous ce qui concerne la connaissance des soins aux animaux comme aux humains. L’évêché du Comminges, comptait beaucoup de prêtres, et en exportait loin dans la plaine, comme plus tard, les fonctionnaires et les instituteurs. Beaucoup de cadets émigraient ou s’engagaient dans l’armée.
XIXème siècle : la famille Couget au Conseil municipal de Cazaux Debat
Au début du XIXème siècle, en 1810, Jean Couget est adjoint au maire de Cazaux – Debat, Fontan. Bertrand Couget, son frère, son père, ou son fils est également conseiller municipal. C’est la première fois que l’on trouve deux membres de la famille Couget au Conseil municipal. Sans doute ont-ils adhéré aux idées nouvelles. Ont-ils participé aux campagnes militaires de la Révolution et de l’Empire ? Ce fut le cas de beaucoup, dans la vallée du Louron. Certains sont revenus, auréolés de gloire ou non, d’autres ont été tués, d’autres enfin, sans doute nombreux, en ont profité pour quitter leur vallée à tout jamais. Il y avait aussi de nombreux réfractaires, passés en Espagne plutôt que de rejoindre les soldats de l’an II et leur successeurs. Ils étaient très nombreux dans les Pyrénées avec un record national pour l’Ariège : 98% de réfractaires et de déserteurs ! Au cours de cette période, le village de Cazaux – Debat a perdu 25% de sa population, pour l’ensemble de ces raisons.
Un assignat, monnaie de la Révolution Française, trouvé dans la maison des Couget
La famille Couget participe à la vie municipale sous le premier empire, puis semble être à l’écart. Pour des raisons politiques, ou internes à la famille ?
Mais Couget Jean Bertrand fait partie du conseil municipal à partir de 1852, avec le second empire et jusqu’en 1887, sous la République. On peut supposer qu’il s’agit du frère cadet, resté célibataire, du père de Jeanne Marie Couget. Dans le recensement de 1872, il apparait comme « agriculteur », « chef d’exploitation » .Il a alors une cinquantaine d’années. Il était exploitant forestier. Il apparait comme le spécialiste concernant les droits concernant l'usage de la forêt. C'est lui qui est délégué pour accompagner le maire à Saint Gaudens ou Bagnère de Bigorre pour défendre les intérêts de la commune devant les tribunaux. Il est trés vraisemblable qu'il était le propriétaire exploitant la scierie dont son petit neveu, Louis Rey, a hérité.
Jeanne – Marie Couget, une « ainée » au XIXème siècle
La mère de Jeanne Marie Couget, Bertrande Cadeillan, vient de Bordères Louron. Son père, Bertrand Couget, est décédé en 1842, l’année de la naissance de sa fille. Aussi, c’est elle l’héritière du patrimoine immobilier de la famille.
Fille unique, et donc ainée, elle est chef de famille. Mais le statut d’ainée à changé en bien et en mal, pour les femmes pyrénéennes au XIXème siècle. Depuis la loi Guizot de 1833, beaucoup d’écoles ont ouvert et les filles peuvent en bénéficier, essentiellement quand l’école est mixte. C’est le cas à Cazaux, où les enfants sont scolarisés depuis les années 1840. Jeanne Marie Couget ne figure pas sur la liste des enfants de Cazaux – Debat qui bénéficient de la gratuité de l’école primaire mixte créée en 1847 à Cazaux - Debat. Sa famille peut payer l’école.
Elle a épousé un homme venu du village voisin de Gouaux, dans la vallée d’Aure. Aussi, si Jeanne-Marie Couget est héritière, elle n’exerce les fonctions de chef de famille qu’avec son époux. Ce n’est pas elle qui signe les courriers aux autorités. Quant à Jean Bertrand Couget, qui a vécu jusqu’au début des années 1890, c’est un « chef d’exploitation » qui prend peu de décisions, y compris quand il s’agit d’agrandir la grange.
Le caveau
Jeanne Marie Couget et son époux, Dominique Rey, ont eu trois fils Bertrand, Louis et Albert. Le fils ainé, Bertrand Couget, décède en 1885 à l’âge de 16 ans.
C’est sans doute à ce moment là que la famille fait construire un caveau en ciment.
Jeanne Marie Couget ne se remet pas du décès de son fils ainé. A l’autonme 1888, elle est mourante.
Le Préfet des Hautes Pyrénées reçoit alors la lettre suivante, que lui adresse Joseph Fontan, le maire de Cazaux – Debat :
« Monsieur le Préfet,
J’ai l’honneur de vous exposer que je suis en présence d’une question sur laquelle je suis complètement inexpérimenté n’ayant pas trouvé à ce sujet des instructions à la mairie : cette question la voici.
Il y a environ deux ans la famille Rey Dominique de Cazaux-Debat fit construire un caveau au cimetière communal : ce caveau se trouve à 4 mètres environ de l’entrée de l’église et à 15 mètres environ de l’habitation du sieur Carrère Dominique. La construction dudit caveau fut-elle seulement autorisée, c’est ce que j’ignore mais je crois tout de même qu’il ne fut fait auncune enquête commodo et incommodo du moins je n'ai eu aucune connaissance de ladite enquête. Il est très probable, Monsieur le Préfet, que le caveau devra être ouvert prochainement et plusieurs habitants de la commune protestent, vu le peu de distance qui existe entre l’église, l’habitation mentionnée ci-dessus et le caveau ; vu encore qu’un corps y a été déposé depuis sa construction qui est de date assez récente. Il résulte des motifs exposés ci-dessus que ce caveau ne peut être ouvert sans danger pour la salubrité publique.
En attendant de votre bonté, Monsieur le Préfet, des renseignements qui me sont indispensables et sans lesquels je ne puis faire taire mes administrés.
J’ai l’honneur d’être, le plus humble et le plus dévoués de vos serviteurs.
Cazaux – Debat, le 6 octobre 1888
Le maire de Cazaux – Debat
Fontan Joseph »
Jeanne Marie Couget, épouse Rey, décède effectivement une semaine plus tard, le 13 octobre 1888 à l’âge de 46 ans. Elle est enterrée dans le caveau familial.
L'église de Cazaux -Debat et son cimetière - Le caveau des Rey où sont enterrés notamment Jeanne Marie Couget et son fils Bertrand se trouve en haut à droite, surmonté d'une croix en pierre blanche
Le maire n’a pas reçu les instructions préfectorales avant le printemps 1889, s’il en a reçu,. Il semble que l’affaire en soit resté là. Le caveau est toujours bien visible dans le cimetière de Cazaux Debat à quatre mètres de la porte de l’église, sur la droite en entrant.
Le comportement d’une partie de la la population n’est en fait que les conséquences d’une décision politique,l'organisation du cimetière en quartiers devant l’église de Cazaux – Debat, en 1887 c’est-à-dire un an et demi avant. Dans un village où les relations sociales sont particulièrement tendues.
Depuis la fin du XVIIIeme siècle, diverses lois ont été prises concernant les cimetières. Jusque là, et ce devait être le cas à Cazaux Debat, les morts étaient enterrés autour des églises, souvent dans des fosses communes ou à l’intérieur quand il s’agissait de puissants personnages. On peut supposer qu’à Cazaux Debat, tout le monde était enterré autour de l’église. Avec Les Lumières, à la fin du XVIIIème siècle, apparait la notion d’hygiène. On s’est aperçu qu’il y avait un rapport entre la façon dont on enterrait les morts et les épidemies. C’est pourquoi des règles sont fixées quant à l’installation de cimetières, qui doivent être éloignés des habitations. En particulier, ils ne doivent pas se situer au dessus de lieux habitués sauf à respecter un certain périmètre. Avec la révolution indistrielle, à l’instar de la façon dont sont organisés les quartiers et les immeubles des villes, on organise aussi les cimetières avec des quartiers pour les concessions perpétuelles, les concessions temporaires et les champs communs. Des quartiers sont réservés pour les extentions.
Le plan du cimetière de Cazaux - Debat, tel que définit par la délibération de 1887. La concession des Rey se situe en haut de la section B, à droite sur le plan, celle des Bégué tout en haut de la section C, à gauche.
Au début de l’année 1887, à quelques mois de l’élection municipale, le Conseil municipal de Cazaux – Debat s’est réuni. Il était composé de Jacques Carrère, maire. C’est le père des carrère qui ont émigré au Chili. De Dominique Fontan, adjoint. De Jean Louis Bégué, le maire précédent et doyen de l’assemblée ; il est alors âgé de 76 ans. Et de MM Louis Sens, Jean Bertrand Couget, Joseph Verdier, Baptiste Lafaille, Etienne Verdier et Jean Baptiste Davezan.. Le conseil décide de l’aménagement du cimetière en quartiers, dans un périmètre qui est fixé devant l’église. Il est ainsi relativement isolé, conformement à la législation, si ce n’est qu’il y a à cette époque une habitation située en dessous du cimetière, et assez proche, puisque celle de M. Carrère Dominique est situé à 15 mètres, et en dessous. Si la décision a été prise en 1887, il y a eu auparavant diverses enquêtes, dites commodo et incommodo, pour fixer à cet endroit le cimetière. On peut supposer que la décision de le fixer à cet endroit a sucité des réactions hostiles.
Le premier caveau construit a été concédé à la famille Bégué, à la gauche de la porte de l’église en entrant, vers l’amont, donc, et à deux mètres de l’entrée. Il a fait l’objet d’un arrêté de concession.
Le caveau des Rey existe déjà. Il est situé de l’autre côté, également dans le quartier des concessions perpétuelles, plus proche donc et plus immédiatement au dessus de la maison de Dominique Carrère. Ce qui explique la réaction de ce dernier. Dominique carrère faisait partie de la municipalité en place jusqu’en 1881, date de renouvellement du conseil municipal élu seulement en 1878. C’était alors le mieux élu des conseillers municipaux. Il n’était plus sur la liste en 1881. Il ne devait pas être riche et donc, particulièrement vigilant pour faire respecter ses droits. Il a donc réagi vivement à ce qu’il a considéré être un mauvais traitement qui lui était réservé, à lui et à sa famille.
En 1887, un nouveau maire a été élu, Fontan Joseph. Il a battu par 5 vois contre 4, Carrère Jacques, le maire qui a mis en place les concessions funéraires
.
Cette élection est survenue en pleine polémique sur l’aménagement du cimetière. Car il y avait désormais trois catégories de familles à Cazaux - Debat : celles qui pouvaient payer une concession perpétuelle, celles qui avaient préféré payer une concession trentenaire comme les Bégué, celles qui paiaent pour une concession temporaire de dix à quinze ans et les autres, enterrées au champ commun .
Cazaux – Debat était un village où les relations sociales étaient tendues. La bonne terre était rare, il y avait peu de « montagne », d’estive pour les troupeaux, en été. Les deux tiers des familles se partagaient les terrains agricoles. La superficie moyenne des fermes étaient de 5,8 hectares. Mais il y avait des disparités importantes. Les plus pauvres, petits propriétaires ou journaliers, pouvaient faire paitre leurs annimaux dans le forêt, beaucoup plus réduite qu’aujourd’hui du moins sur le versant ensoleillé, et selon des règles strictes. Ils pouvaient avoir quelques chèvres, des cochons, des poules. Leur patrons, qui étaient aussi leurs voisins, comptaient le nombre de brouettes de fumier auquelles ils avaient droit pour fumer leur potager. On comptait combien de lait pouvait tirer quotidiennement pour sa nourriture un berger employé par les propriétaires du village, et à quel moment il pouvait traire pour lui ou pour ses propriétaires. Aussi, pour ces gens, l’organisation du cimetière a dû être ressentie comme une nouvelle forme de ségrégation sociale.
Au cœur de ce conflit, Dominique Rey était à la fois le propriétaire du caveau, l’instituteur qui avait permis à bon nombre de familles, par l’instruction, d'améliorer leur niveau de vie souvent au prix de l’exode de leurs enfants, celui qui avait enseigné l’hygiène à la population du village et enfin, le père et le mari en deuil. Il était aussi le conseiller des maires. Sans doute leur avait-il conseillé de réaménager le cimetière selon les règles modernes, au moment où le destin l'a amené à en faire construire un, situé dans le futur carré des concessions perpétuelles. Il en a payé le prix.