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Affreux, sales et méchants : les miquelets à Cazaux - Debat

par amisdecazaux 28 Août 2013, 21:57 Histoires du village

La légende rapporte que les miquelets s’étaient réfugiés sur un plateau appelé Pla déro croua. C’est un espèce de camp retranché presque inaccessible, dominant Arreau et une partie de la vallée du Louron. Des contes plus ou moins fantastiques de leur souvenir, répétés au coin du feu, ont été pendant longtemps les croquemitaines des enfants du village. Quand une mère corrige un peu vertement son fils, elle ne manquera pas de lui lancer cet épithète : « qu’ès u miqualet » (Dominique Rey, instituteur, monographie du village de Cazaux – Debat, archives départementales des Hautes Pyrénées).


Les Miquelets : « des bandits ! Venus d’Espagne… ». Des catalans plus précisément, qui constituaient l’infanterie de montagne de l’Archiduc d’Autriche pendant les guerres de succession d’Espagne, au XVIIème et XVIIIème siècle. Ils se seraient donc installés sur le plateau qui domine le village, au Nord –est, et qui domine aussi Arreau. De là haut, on voit distinctement la route du Louron, en bas, les villages de Cazaux – Debat, de Ris, de Bordères – Louron, de Lançon et Arreau, en dessous. 

 

IMGP1155

Au dessus du village de Cazaux - Debat, derière le rocher de la Pène, le Pla dero croua domine la vallée du Louron


L’axe routier venu de Saint Bertrand de Comminges ou de Lannemezan était très fréquenté, surtout après la fonte des neiges. Il permettait de passer ou de revenir d’Aragon par le port du Plan ou le port vieux. Y a-t-il eu des miquelets installés là dans un camp retranché ? Peut être pas, enfin, pas exactement.


XVIIème siècle : les Miquelets sont à nos portes.


Un miquelet est un montagnard employé uniquement dans son milieu naturel. Appelé également fusiller des montagnes, il a appris à tirer en particulier à la chasse à l’isard.

fuseller-muntanya-3-thum.jpg

Miquelet catalan

 

« Les villages d’Espagne qui en font la barrière de l’autre côté ne manqueoient jamais à leur en donner avis, suivant l’engagement est entre eux par un traité particulier, au moyen de quoi ils n’ont jamais esté surpris, par ce que dans un instant tous les habitants prennent les armes jusqu’au nombre de 2000 hommes, qui sont armés de tous temps, et s’emparent de défilés par lesquels on pourroit de mémoire d’homme  on ne les a jamais vu souffrir aucune révolution quand on s’est reposé sur eux dans le temps des guerres les plus vives avec l’Espagne. D’ailleurs tous ces gens qui sont parfaitement armés, puisque ce sont des drolles qui la plus part ne veulent pas tirer un chamoy par le côté de peur d’en gâter la peau, et le tuent par la teste à balle seule ». (Maréchal de Montrevel, 1712) Le nom de miquelets peut donc être utilisé pour un français comme pour un espagnol, mais il a été surtout retenu pour les catalans partisans de l’Archiduc Charles, opposés aux partisans du duc d’Anjou lors de la guerre de succession d’Espagne. Par trois fois durant la guerre de succession d’Espagne, les miquelets réussissent à pénétrer dans les vallées françaises, brûlant, pillant et assassinant sur leur passage. Aragnouet en 1710, la vallée de Luchon en septembre 1711 et en vallée d’Ustou en juillet 1712.


cabane-de-roumingau.jpgEntre les vallées de Luchon et d’Aran se trouvent les estives de Campsaure et de Rioumingau. Les habitants des deux vallées en revendiquent la propriété et l’usage pour leur seul compte. Chaque conflit est l’occasion de s’en emparer par la force. En 1484, alors que les armées françaises occupent le val d’Aran, un duel judiciaire collectif oppose villages français et Aranais sur ces estives. En septembre 1711, les armées françaises qui soutiennent le duc  d’Anjou attaquent le château de Benasque. Les miquelets du comte de Taff, qui se battent pour l’Archiduc d’Autriche, craignent que les Français attaquent aussi le château de Castelléon, dans le val d’Aran. Les Aranais sont exaspérés par le blocus alimentaire que leur imposent les Français.

 

Leur prêtres, très nombreux, contestent la réforme épiscopale menée par les évêques du Comminges. Ce sont des partisans acharnés de l’Archiduc. Ils n’hésitent pas, à plusieurs reprises, à prendre les armes.

 

Les miquelets et parmi eux, des Aranais, pénètrent en France par les pâturages si contestés, éliminant les bergers au passage. Tous les villages au fond de la vallée, aux toits de chaume sont incendiés, ainsi que Bagnères de Luchon. De nombreuses têtes de bétail  sont ramenées dans le val d’Aran. En application des traités entre vallées, les lies et passeries, la vallée d’Aran doit dédommager celle de Luchon de 30 000 livres. Mais entre temps, les troupes françaises ont pris le château de Castelléon et ruiné la vallée, qui n’est plus en état de payer. Un combat eu lieu également à Genos, où les miquelets venus du port de Clarabide ou de la Pez  ont été repoussés par la milice.

 
Les guerres qui eurent lieu à la fin du XVIIème siècle et au XVIIIème siècle se sont déroulées loin de Cazaux – Debat. Il n’est pas possible que des miquelets aient pu venir aussi loin, et installer un camp. Ce n’était donc pas des miquelets qui se sont un jour installés au pla déro croua pour piller. Mais ce qui s’est passé dans les estives entre Luchon et la vallée d’Aran montre que les relations entre vallées ont été parfois des plus inamicales. Les conflits venus d’ailleurs ont permis l’expression de conflits beaucoup plus locaux.  


Au XVIème siècle aussi, il y eu la guerre contre les Espagnols


Les Espagnols de l’empereur Charles Quint ont attaqué par le Roussillon et par le Pays basque, jusqu’à Saint Jean de Luz, Sorde l’Abbaye et Navarrenx, brulant tout pour essayer d’occuper l’ensemble du royaume de Navarre. Mais les Pyrénées centrales ont été épargnées. C’est là que fut signé entre les vallées « la grande Passerie » ou accord du plan d’Arren.


C’était le 22 avril 1513, en présence des notaires de Viella, Muret et Saint Béat. Le traité comprend 14 articles écris en gascon :
« I Les pays [vallées] signataires s’engagent à ne se livrer entre eux à aucun acte de guerre et à ne se porter aucun dommage, exception faite pour les marchandises prohibées.
II  Les habitants de ces pays pourront circuler librement sur le versant français, entre le haut Salat et la Neste d’Aure, jusqu’à Saint Lizier, Saint Girons, Aspet, Saint Bertrand, et Sarrancolin : sur le versant espagnol, de la Nogeura au Cinca, jusqu’aux ponts de Salinas et de Sarrobillo, dans les vallées de Bielsa et de Gistaïn, et par tout le comté de Riba gorce, le marquisat de Paillas et la vicomté de Villamur.
III Tout dégat ou attentat, commis dans les limites indiquées, doit être réparé par tous les coupables, à la connaissance des juges compétents, chacun en son ressort et royaume.   
IV Tout bétail, de quelque condition qu’il soit, appartenant ou non aux régions protégées, peut pacager et séjourner en montagne, de même qu’en temps de paix, les vols sont à la charge des habitants des vallées où le bétail aura été enlevé, sans que les majoraux ou patres puissent être inquiétés.
V Si dans lesdites limites, il était fait des prisonniers, ceux-ci seront libérés, et les responsables punis par les juges compétents. Et dans les cas où les malfaiteurs resteraient introuvables, s’ils ne peuvent payer les dommages et que quelqu’un soit convaincu de les avoir cachés ou approvisionnés, ce dernier sera tenu pour responsable. Hors des limites, les cas relèvent   uniquement de la justice.
VI Tous détrousseurs de chemins et autres malfaiteurs peuvent être poursuivis et arrêtés, même dans les limites précitées, par les officiers des rois de France et d’Aragon, auxquels assistance et main-forte doivent être données pour que justice puisse être faite.
VII Si des troupeaux ou marchandises étaient volés, il sera fait justice pour ceux à qui ils appartiendront comme si c’était en temps de bonne paix.
VIII La présente surséance de guerre est conclue sans limite de durée. Mais si quelqu’un désirait la rompre, il sera tenu d’en prévenir l’autre partie. Du côté français, au Plan (de Gistaïn), par les vallée d’Aure et de Barousse ; à Vénasque et au château de Castelléon, par Luchon et Saint Béat ; dans le val d’Anéou, eu Paillas et à Salardu par le Castillonais et le Couserans ; Du côte de l’Aragon, à Saint Lary et Loudervielle, par les vallées du Cinca ; à Luchon par celles de Vénasque et de Riba gorzana ; à Saint Béat Sentein et Castillion par les quartiers d’Aran et de Barravez ; à Seix et Saint Girons pour le marquisat de Paillas. Ces lettres de notification devront être signées des personnes ayant charge et puissance de ce faire et remises en main des gens de même autorité. La surséance restera valable pendant trente jours à compter de la remise de la notification, durant lesquels marchands et autres ne pourront circuler et retirer leurs biens et marchandises en toute quiétude.
IX Ainsi a été conclu que ledit seigneur de Monbrun et l’ensemble des susnommés seront tenus de faire ratifier et confirmer les présents articles.
X Si certains pays, vallées, seigneuries des susdit pays ne voulaient pas être compris dans ladite séance et capitulation, ils en feront la déclaration au cours du mois de mai prochain, respectivement les uns aux autres.
XI Si des gens couverts par ce traité circulent en dehors des limites indiquées, c’est à leur péril et fortune.
XII Aucune représaille n’est autorisée, ni d’une part, ni de l’autre, pour quelque cause que ce soit, sinon par voie légale. Chaque officier fera la justice en son quartier ; et pour les litiges entre Espagnols et Français ou inversement, il sera fait le mieux possible. Dans le cas où le coupable serait insolvable, chacun de part et d’autre payera pour éviter des ennuis.
XIII Interdiction à tous d’user de voie de fait, de se lancer des défis, de tenir des réunions illicites, sous peine de pendaison.
XIV Ces clauses ont été jurées sur les Saintes évangiles, sur la bonne foi et l’honneur, à peine de cent marcs d’or et d’être traité de menteur. L’amende, payée par la partie contrevenante, reviendrait à moitié au roi de la partie offensée, moitié à cette partie elle-même. »


Trois ans plus tard, en 1516,  un combat aurait eu lieu laissant 500 montagnards sur le sol. Il opposait les bergers de la vallée de Luchon à ceux de la vallée d’Aran,  pour le contrôle des estives de Campsaure et de Rioumingau.


Les guerres de religions n’ont pas, semble-t-il, eu d’impact direct dans les vallées d’Aure et du Louron.

 

En 1567, un aventurier d’origine auroise, Jean Guilhem, mis à sac l’abbaye de l’Escale– Dieu à la tête de bandouliers. Il fut pris avec 23 de ses complices, conduit à Toulouse et exécuté.

 

En 1568, 3000 arquebusiers commandés par un capitaine Espagnol, Bardochain, reçurent l’ordre de mettre Sarrancolin en état de défense.

 

Une troisième alerte eu lieu quand le chef des armées protestantes, Montgomery, mis à sac la Bigorre, allant jusqu’à Bagnères. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la solidarité avec la vallée voisine joua à minima. Voici le courrier que reçurent les gens de Bagnères en réponse à leur demande de secours, de la part de la communauté d’Ancizan :

 « Nous voudrions bien être auprès de vous ; mais Bagnères est si loin ! Il fait mauvais temps. Des gens de Campan nous assurent d’ailleurs que l’ennemi est passé. Confirmez-le nous par écrit. Dans l’attente de votre réponse, nous prions Dieu qu’il vous maintienne en sa Sainte grâce » (8 août 1569).

 

Enfin, une dernière alerte : en 1595 – 1598, les ligueurs, les ultras catholiques, continuent la lutte contre le Roi Henri IV qu’ils ne veulent pas reconnaitre. Des ligueurs courent la montagne pour inciter les populations à la révolte fiscale. Mais il ne semble pas qu’ils aient eu beaucoup de réussite du moins en Aure et en Louron. Le capitaine Pargeas et ses 2000 arquebusiers font régner la terreur dans la région de Monréjeau, et trouvent refuge dans le haut Comminges, mais il n’ont pas dû se rendre en Louron ou en Aure.


 Ce n’est donc pas lors des guerres de religion que des bandits sont allés occuper le pla déro croua.


Alors, avant ? Lors de la guerre de 100 ans ?  C’est possible.


Au moyen – âge, les Barons d’Espagne, seigneurs de Bordères et de Montespan sont les seigneurs de la vallée du Louron, de Bareilles et de Gouaux.

 

Ces barons habitent loin du Louron, dans leur château de Montespan, près de l’entrée de la vallée du Couserans. Depuis leur ralliement au roi Saint Louis, ils étaient proches du roi de France dans une région troublée par les guerres contre les albigeois, puis la guerre de cents ans. En 1272, ils avaient fait édifier une bastide, Monréjeau, avec le Roi de France. Leur famille était liée également aux comtes de Foix. Ces derniers avaient pour politique de relier leurs territoires situés dans l’actuelle Ariège avec ceux du Béarn, territoire qu’ils considéraient comme indépendant. La famille d’Armagnac, elle, cherchait à relier ses territoires situés dans l’actuel département du Gers, avec ceux des Pyrénées, la Bigorre et la vallée d’Aure. Le Comminges, la Bigorre et les vallées situées entre ces deux pays (le Larboust, l’Astarc, la lande de Bosc, la vallée d’Aure, la vallée du Louron) furent donc pendant toute la période de la guerre de cent ans des secteurs d’affrontement et en fonction des alliances et des territoires qui changeaient de main, des zones d’affrontement. Comme nous l’avons vu lors des guerres du XVIIIème siècle, un conflit national avait ses déclinaisons locales, sans compter avec les guerres privées menées par une vallée, un village voire une bande d’individus de passage.

 

etat_gaston_febus.jpg


Les nobles, les barons d‘Espagne pour ce qui nous concerne, participent à la demande du roi aux batailles contre les anglais.

 

C’est ainsi que le Baron Roger d’Espagne se trouva prisonnier des anglais en 1355, à la bataille de Poitiers. A la suite de cette bataille, une grande partie de la noblesse se trouva emprisonnée en Angleterre, libérant les appétits territoriaux locaux des seigneurs vainqueurs, ou de ceux qui n’avaient pas participés à la bataille. Parmi les vainqueurs se trouvaient beaucoup de seigneurs gascons qui avaient combattus avec le Prince Noir, le chef de guerre des Anglais en France. Et parmi les neutres, se trouvaient le comte de Foix. 

 

Il fut puni : le roi de France l’emprisonna à Paris pendant quelques mois puis l’envoya participer à une croisade en Pologne avec les chevaliers teutoniques et avec son cousin, Jean III de Grailly, captal de Buch. Il ne s’agit pas moins que du principal lieutenant du Prince Noir à la bataille de Poitiers ! Au retour de cette expédition, alors qu’ils étaient en route vers les Pyrénées depuis le port flamand où ils avaient été débarqués, ils se trouvèrent mêlés à un conflit entre des paysans révoltés, les Jacques, et le Roi de France. Les Jacques avaient entrepris d’assiéger Maux, ville de l’Ile de France où les reines de Navarre et de France étaient enfermées. Les deux cousins et leur troupes, des individus peu recommandables recrutés dans les grandes compagnies, attaquèrent les jacques, les mirent en pièce et délivrèrent les deux reines.  Ils y gagnèrent un grand prestige à la cours du Roi de France et, à partir de là, purent mener leurs affaires locales de façon relativement tranquilles.


Les affaires locales du comte de Foix, c’était le contrôle des territoires situés entre Foix et le Béarn.

 

Il acheta donc la bastide de Lannemezan, il devint maitre du château de Mauvezin et, avec la complicité des anglais, envoya deux de ses cousins prendre le château de Lourdes à partir duquel ils terrorisaient la Bigorre. Les Armagnac vivaient très mal toutes ses initiatives, qui isolaient la vallée d’Aure dont le vicomte, Jean de Labarthe, était un de leurs affidés.


Le conflit dégénère : en 1362, à Launac à côté de Toulouse, le comte de Foix a convoqué ses alliés parmi lesquels les membres de la famille d’Espagne. Chacun est venu avec ses gens.

 

 Il devait y avoir des arbalétriers des villages des Pyrénées parmi eux. Les habitants des vallées disposaient du droit de chasse et étaient préposés à la garde des passages pyrénéens. A ce titre, ils étaient déjà experts en arme de tir. Il est aussi possible que certains d’entre eux ait été compagnons dans des compagnies de routiers. Beaucoup de paysans libres, ce qui était le cas des habitants des vallées, avaient la possibilité de partir et de s’engager à l’aventure dans ces bandes. Cars ils étaient libres, mais pauvres et dans les familles, les cadets étaient à la portion congrue.

 

 Il y a aussi à Launac, avec le comte de Foix, ce que l’on appelle des routiers. On les appelle aussi les ribauds, les ravisseurs, les cottereaux (paysans pauvres), les almograves (routiers catalans qui se déplaçaient en famille et combattirent surtout en Grèce ou contre les musulmans) et aussi les allemands, les godons (les anglais), les compagnons, les basques, les navarrais, les aragonais. En Italie on les appelait jusqu’au XVIème siècle et quelque soit leur origine, les Gascons.

 

Le comte de Foix s’appuie sur le Bascot de Mauléon, qui l’a suivi en Prusse et a combattu pour délivrer les reines.

 

 Il a auprès de lui Ramonet d'Aspect [Aspet], dit Raimonet de l'Espée, ou Raymond l'Aspois, compagnon d’armes du Bascot, et commandant de la forteresse de Mauvezin ; John Amory, Anglais du Cheshire, autre vainqueur de Poitiers ; Le Mongat de Sainte-Bazeille, qui était l’un des compagnons de Lourdes ; Taillardon, écuyer du comte.


Le comte d’Armagnac est venu avec ses vassaux : les comtes de Comminges, le vicomte de Labarthe...  

 

Et des routiers : Bertucat d’Albret était un Gascon, fils illégitime de Bernard IV sire d'Albret. Routier réputé et craint, il fit ses débuts dans le Quercy. En 1357, il fait irruption en Auvergne, et occupe Sermur qui servira de base à ses expéditions. En 1358, les États d'Auvergne achètent son départ 3 000 écus. En 1359, il joint ses forces à celles de Robert Knolles à Pont-du-Château. En 1361, il est avec le Batard d'Albret en Bas-Languedoc, et joint ses forces à celles de Seguin de Badefol devant Narbonne. Ils envahissent le Roussillon, puis le Toulousain ; les États de Rouergue achètent leur départ.


Le 5 décembre 1362 à Launac, Gaston de Foix gagne la bataille et fait de nombreux prisonniers : les comtes d’Armagnac et du Comminges, le vicomte de Labarthe…. Ce dernier, par exemple, doit payer  13500 Florins pour  être libéré ! La guerre de cent ans est une industrie qui coûte cher, mais peu rapporter gros. La victoire de Launac assure au comte de Foix prospérité et indépendance.


Après cette victoire, les routiers reprennent leur indépendance, et vivent « sur le pays » recherchant les endroits les plus propices à s’enrichir. Les terres riches, les routes fréquentées et difficiles à protéger.


C’étaient des hommes qui n’avaient peur de rien. Ces soldats perdus incapables ou peu désireux de retourner à la vie civile se regroupaient autour d’un chef, fils cadet ou batard d’une famille noble, parfois même roturier. Ils formaient de véritables bandes de malfaiteurs avec leur discipline interne et une certaine connivence avec les autres bandes. Avec l’extérieur, c’était la loi du plus fort : au cours de leur âge d’or, les année 1360 – 1390, ils pouvaient vivre comme des rois, rançonnant, semant la terreur, violant, pillant, tuant afin que les civils autour d’eux soient suffisamment effrayés pour céder à tous leurs caprices. Les paysans acceptaient des accords avec eux, des pâtis, par lequel ils s’engageaient à subvenir aux besoins des routiers en échange de leur « protection ». Après cela, on comprend que les civils aient accepté l’imposition royale, synonyme de paix civile et de sécurité.

 

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Compagnies et pélerins, XIVème siècle


Face aux compagnies, appelées plus tard, les tard – venus puis encore après, les écorcheurs (car il ne laissaient que la peau à leur victime), il y avait plusieurs stratégies, toutes utilisées dans le Sud ouest : les utiliser pour combattre l’ennemi, les détruire, les amener dans des campagnes à l’étranger, laisser la population s’en occuper, au risque de devoir ensuite sévir contre cette même population pour la désarmer.


En 1368, le duc d’Anjou, frère du Roi de France et sénéchal de Toulouse, expédie ces bandes se battre en Espagne avec Du Gusclain. Mais certaines, restées dans le Languedoc, mettent le pays à feu et à sang et écrasent au passage une armée envoyée par le roi de France. Le duc d’Anjou en vient à bout. Il fait condamner leurs chefs,  Bosonet de Pau, Papillon, Petit Mechin et Perrot de Savoie. Bosonet de Pau, Perrin Bouvetault, alias Perrot de Savoie et Petit Meschin furent noyés dans la Garonne le 11 mai 1369. Perrot de Savoie était, dit le chroniqueur Villani, « un homme de rien, qui, par sa prouesse et son mérite dans les armes, était arrivé à une grande puissance militaire. il prit beaucoup de terres en Bourgogne, y fut le plus rude adversaire du roi de France, lui cherchant partout des ennemis. Le roi, pour l’expulser de la Bourgogne, envoya contre lui la compagnie d'Espagnols qui était alors en Berry. Et ceux qui furent ainsi envoyés faisaient autant de mal à leurs amis qu'à leurs ennemis ».


Les participants à la bataille de Launac continuèrent de sévir.


Taillardon  tenait le fort de Montpin  dans la vallée de l’Adour contre Thomas Trivet en 1378. Il faisait partie des bandes de «Bretons» qui ravagèrent le bassin de l’Adour.


 John Amory, à la solde du comte de Foix en décembre 1362, fut recruté au début du mois de mars 1363, en Rouergue, par Jean II d’Armagnac contre son ancien employeur. Il fut blessé mortellement à la prise de la Charité-sur-Loire en 1364.


Ramonet d’Aspet commanda Mauvezin, forteresse de Gaston Febus. Quand la forteresse fut prise par le duc d’Anjou en 1373, il passa au service de ce dernier, le suivit en Italie et mourut devant Naples.


Jean-Froissart.jpgLe Bascot de Mauléon livra ses souvenirs à Jean Froissart, célèbre chronqueur de ce siècle de fer, lorsque ce dernier vint en  en Béarn dans l'auberge tenue par Arnauton du Pin, routier reconverti dans la limonade à Orthez. (portrait de Jean Froissart, ci-contre)


Le Mongat de Sainte-Bazeille quitta Lourdes vers 1370. Capturé par le sénéchal de Toulouse, Hugues de Froideville, devant Penne-de-Tarn vers 1384-1385, il fut délivré par le duc de Berry, sénéchal du Languedoc, moyennant 100 000 francs-or.


Enfin,  Bertucat d’Albret. En 1363, il entre en Gévaudan et prend Brioude. En 1365, il rend sa forteresse de Blot ; avec ses Gascons, il envahit le Chalonnais. En 1366, il est avec les armées du Prince de Galles ; il bat Olivier de Mauny – cousin germain de Bertrand Du Guesclin – à Villedieu-du-Temple, puis il part en Castille avec l'armée du Prince Noir. En 1369, il est en Quercy. En 1371, en Limousin il prend Figeac. En 1373, il fait un accord : pas de guerre dans la région contre 120 000 francs. Emprisonné en 1374, il est libéré en 1376. En 1377, il abandonne Bergerac. En 1379, il reçoit la terre d'Arberoue et le château de Roquefort, en récompense des guerres de Castille. En 1380, il prend Montferrand et Chateauneuf-de-Randon – où le connétable Du Guesclin trouva la mort –, et Chaliers. En 1381, il est en Angleterre auprès de Richard II pendant la révolte de Wat Tyler. En 1382, il est pris et rançonné dans une escarmouche. Il meurt en 1383.  

         
Le comte de Foix protège ses territoires et ceux de ses alliés. La vallée du Louron en fait partie, mais pas la vallée d’Aure. A-t-il laissé des routiers s’installer au pla dero croua ? On peut en douter. Le Baron Roger d’Espagne, seigneur du Louron est chambelan du Roi de France et Sénéchal de Carcassonne. C’est un proche du roi de France, et donc un allié particulièrement précieux du comte de Foix. Il ne s’agit pas de le mettre en difficulté par des initiatives quelque peu crapuleuses. Néanmoins, les chemins n’étaient pas sûrs et il est possible que des bandits de grands chemins se soient installés là. Ainsi, en 1375, 14 bandouliers capturés dans la vallée de la Neste furent pendus par le bourreau d’Auch à Montréjeau, ville dont Roger d’Espagne était le seigneur. Curieusement, une aire de l’autoroute A64 porte leur nom, « l’aire des bandouliers ». On peut aussi évoquer le souvenir de ces routiers refoulés du côté de Bagnères de Luchon alors qu’ils essayaient de passer en Espagne en se faisant passer pour des pèlerins de Saint Jacques de Compostelle. Ils profitaient ainsi du gite et du couvert dont les pélerins pouvaient bénéficier.


Au XVème siècle, la guerre reprend entre Foix et Armagnac, et entre Bourguignons et Armagnacs. Les comtes de Foix sont du côté Bourguignon, mais se rallient rapidement au roi Charles VII. Jeanne d’Arc est entourée de compagnons d’armes venus des Pyrénées et de Gascogne. Dans les années 1430-1440, le comte d’Armagnac soudoie des bandes de routiers. Parmi eux, Rodrigue de Villandranno et ses espagnols sont parmi les plus terribles. Ils pillent la région, prennent Montréjeau la ville des barons d’Espagne, puis Samatan, Auterive…  Les partisans du comte de Foix réagissent. En 1441, Arnaud d’Espagne, sénéchal de Foix, est tué dans le Comminges lors d’une bataille contre les routiers des Armagnac. Son frère lui succède. Les routiers quittent les quatre vallées et le Comminges. Tout le monde est rassemblé par le roi Charles VII pour aller se battre contre les anglais et remonter la Guyenne de Dax jusqu’à Bordeaux qui est enfin reprise. La guerre de cent ans est fine.


Alors, certains d’entre eux, ou d’autres routiers, sont-ils passé par la vallée d’Aure en allant ou en rentrant d’Espagne, et se sont-ils installés quelques temps au Pla dero croua pour piller les marchands passant par la vallée d’Aure ? C’est possible. Le début du XVème siècle est la période des écorcheurs qui ravagent et qui pillent en passant.  Les routiers de Rodrigue de Villandranno, venus d’Espagne sont passés soit par le val d’Aran, soit par la vallée d’Aure... 


La légende des « Miquelets » de Cazaux – Debat évoque ce phénomène.


 La montagne était traversée par des bandes qui se rendaient en Espagne ou en revenaient. Le seigneur du lieu était loin, et il avait dû entrainer avec eux les enfants du pays doués pour la bagarre. Nous avons vu que les montagnards des vallées  étaient recherchés pour leur qualité d’arbalétriers Acquises à la chasse. Certains d’entre eux ont du faire partie des bandes de routiers. Le métier des armes était lucratif : un sergent gagnait presque autant qu’un de ces maitres maçons qui construisaient les cathédrales, sans compter les pillages et les rançons. A la fin du XIVème siècle, il règne aussi une certaine opulence, malgré les guerres et, si je puis dire, « l’insécurité routière ». La grande peste qui a ravagé l’Asie, L’Europe et l’Afrique du Nord, tuant presque la moitié de la population du Royaume de France, a amené les survivants à s’enrichir, par le jeu des héritages. De nouveaux circuits commerciaux ont été créés pour contourner le blocus des Anglais. La Flandre a perdu le monopole de l’industrie textile, et le Midi toulousain est actif pour développer l’industrie du pastel. Le comte de Foix a ouvert des mines dans les Pyrénées centrales, et il exporte son minerai de fer, tellement indispensable à l’industrie de guerre comme aux affaires civiles. Tout ce trafic de marchandises doit passer par la vallée d’Aure, du moins en partie.

 

Il y a aussi le lieu situé au dessus de la vallée d’Aure. Cette vallée était la convoitise de plusieurs seigneurs puissants, les Foix et les Armagnacs en particuliers. Au XVème siècle, le pla dero croua fait partie du territoire contrôlé par le comte de Foix, quand la vallée d’Aure est un territoire armagnac. Chacun  avait dans la région des seigneurs ou des routiers qui leur étaient acquis, au moins momentanément sans compter tous ceux qui étaient "à leur compte".

 

pla-dero-croua.JPG

A gauche, la vallée de Bareille, à droite, la vallée du Louron. Le pla dero croua est le petit plateau qui se situe sur la montagne située à droite quand on entre dans la vallée du Louron


Comment cela c’est-il terminé ? On ne peut, là aussi que faire des hypothèses. Le blason du village de Cazaux – Debat porte une croix blanche : c’est le symbole des partisans du roi de France à partir de Charles V. Il y aussi les deux fleurs de lis, qui évoquent le symbole de la royauté française. Alors, on peut penser que les routiers installés au Pla déro Croua n’étaient pas des partisans du Roi de France. Ils ont dû martyriser les villageois alentours, en particulier les habitants du village en dessous, ceux de Cazaux – Debat. A un moment donné, soit les villageois ont réussi à chasser d’eux-mêmes les soudards, soit ils ont aidés les soldats envoyés par le seigneur d’Espagne ou un capitaine du roi de France à les surprendre et à les vaincre.

 

blason

Le blason de Cazaux - Debat
 

Laissons la conclusion à l’un de ces routiers, Mérigot Marchès, cadet de la noblesse limousine.

 

 Le château de son père fut détruit par les anglais, mais il fut élevé par son oncle, partisan du roi d’Angleterre. En 1390, il doit rendre le château qu’il occupe dans le Limouzin et se confie à Jean Froissard, le célèbre chroniqueur qui, soit dit en passant, a témoigné de la crainte qu’il avait éprouvé en traversant les landes de Bosc, entre Montrejeau et Capvern, avec, se détachant à l’horizon, les fourches patibulaires de Tournay et ses pendus accrochés.


Mérigot Marchès, donc : « Il n’est bon temps, plaisir, or, argent, gloire en ce monde, que les gens d’armes et de guerre puissent avoir, que nous n’ayons obtenu à cette époque [entre 1375 et 1390]. Que nous n’étions réjouis quand nous chevauchions à l’aventure, et que nous pouvions trouver dans la campagne un riche abbé, un riche prieur, un riche marchand ou un convoi de mulets de Montpellier, de Narbonne, de Limoux, de Fangeoux, de Béziers, de Carcassonne ou de Toulouse, chargés de draps et de soie, de Bruxelles ou de Montivilliers, ou de fourrures venant des foires du Landit ou d’ailleurs, ou d’épices venant de Bruges, ou d’autres marchandises venant de Damas ou d’Alexandrie ! Tout était à nous, ou le devenait selon nos souhaits : tout nous appartenait, ou tout était rançonné selon nos désirs. Tous les jours, nous avions des ressources nouvelles. Les paysans d’Auvergne et du Limouzin nous fournissaient et amenaient en notre château les céréales et la farine, le pain tout cuit, l’avoine pour les chevaux et la litière, les bons vins, les bœufs, les moutons, les brebis, tous gras, et la poulaille et la volaille. Nous étions approvisionnés comme des rois. Et quand nous parcourions la contrée à cheval, tout le pays tremblait devant nous : tout ce qui circulait nous appartenait. Vous rappelez-vous comment nous prismes Carlat, moi et le bâtard de Caupenne ? Comment nous prismes Chalusset, moi et Perrot le Béarnais ? Comment nous escaladâmes, vous et moi, sans autre aide, le château de Mercœur qui est au comte Dauphin d’Auvergne ? Je ne le tins que cinq jours, mais en reçut sur une table 5000 francs et encore, je m’en tins quitte pour 1000 pour l’amour des enfants du comte dauphin. Par ma foi, cette vie était bonne et belle ! »

 

Un an plus tard, le 12 juillet 1391, Mérigot Marchès était executé à Paris sur ordre du roi Charles VI. Il avait 31 ans.


   Il reste la légende et les fantômes du pla dero croua.

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