Jean Bégué a effectué son service militaire pendant deux ans, de 1936 à 1938 au deuxième régiment de hussards de Tarbes. Il s’agissait d’un régiment partiellement motorisé. Il était affecté en tant que chauffeur de véhicule tout terrain. Il est mobilisé le 26 septembre 1938. C’est le moment appelé « la crise des Sudètes », qui est conclue quelques jours plus tard par les accords de Munich. Les démocraties (France et Grande Bretagne) abandonnent la Tchécoslovaquie, qui est dépecée par l’Allemagne nazie.
Il est à nouveau mobilisé le 24 août 1939. L’Allemagne menace la Pologne. La situation de la France est plus difficile qu’en 1914 : elle n’a qu’un allié, la Grande Bretagne. Les états d’Europe centrale sont neutres ou alliés à l’Allemagne et surtout, l’URSS de Staline a conclu un accord de paix avec l’Allemagne, qui comprend un codicille secret, portant sur le partage de la Pologne. Le régiment est réorganisé dans la perspective de la guerre. Jean Bégué est affecté au 28ème groupe de reconnaissance de division d’infanterie, qui est déployé dans le Nord Est, derrière la ligne Maginot. Il est estafette.
De septembre 1939 à mai 1940, le front est calme. Les Allemands combattent en Pologne et les stratèges français ont défini une organisation défensive, à partir de la ligne Maginot.
A partir du 10 mai 1940, le front des alliés est percé à Sedan. La stratégie alliée se révèle inefficace : leurs unités de chars sont trop dispersées, la liaison avec l’aviation ne fonctionne pas et le système de liaison radio des chars est inefficace. Les Américains auront le même type de difficulté à leur entrée en guerre, en Tunisie. Début juin, les Anglais rembarquent à Dunkerque, grâce au sacrifice de plusieurs divisions françaises et de l’armée belge. Ces derniers doivent déposer les armes, manquant de soutien et de munitions.
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Les soldats français se battent seuls à partir du 3 juin 1940, dans des conditions très difficiles, alors que les responsables politiques penchent de plus en plus vers la reddition. Paris, puis Lyon sont déclarées villes ouvertes, le président du Conseil, Paul Reynaud, partisan de continuer la lutte, démissionne le 17 juin et le lendemain, Georges Mendel est arrêté sur ordre des pétainistes.
L'armée française de 1940 n'a pas été vaincue sans combattre. Les hommes ont fait ce qu'ils ont pu avec les moyens qui leur ont été fournis et les exemples de courage et de sacrifice ne manquent pas. Environ 60 000 Français et 30 000 Allemands ont été tués au combat en 45 jours. Il convient aussi de préciser que les troupes allemandes ont commis des crimes de guerre contre les civils, jetés sur les routes et bombardés sans relâche pour créer la panique et freiner les mouvements des troupes franco-britanniques.
En mai 1940, le groupe Guderian de l’armée allemande traverse les Ardennes et vient prendre à revers le 2ème groupe d’armées, dont fait partie le 28e GRDI. C’est le groupe d’armées où se trouvent Jean Bégué et Henri Fouran, d’Ilhan. Une partie du 2eme groupe résiste dans les Vosges jusqu’au 22 juin 1940. Une autre partie se replie vers Dijon, où ses éléments son intégrés au groupement Cartier, chargé de couvrir l’armée des Alpes qui se bat avec succès contre les 32 divisions italiennes. Le groupement Cartier réussi à défendre efficacement ses positions contre l’avance allemande, malgré les ordres reçus du gouvernement de Pétain (impossibilité de se défendre dans Lyon, déclarée ville ouverte, par exemple). Jean Bégué, qui a été bombardé par des avions italiens, a dû être fait prisonnier dans la région de Dijon, à la mi-juin 1940. Sur 1,9 millions de prisonniers, plus de la moitié, peut-être 1,5, ont été pris entre la déclaration de Petain, nouveau chef du gouvernement depuis le 17 juin 1940 et l’arrêt effectif des hostilités par les troupes allemandes, le 24 juin (l’armistice ayant été signée le 22 juin).
Juin 1940 : les colonnes de prisonniers français prennent le chemin de l'Allemagne
Il y a quelques années, le receveur des postes, d’origine italienne, se présentait aux élections cantonales sur le canton de Bordères Louron. Jean Bégué recevait un courrier, signé d’Henri Fouran, son ancien compagnon d’arme devenu facteur dans la vallée du Louron : « souviens –toi du 21 juin 1940 ». Jean Bégué gratte son crane, quelque peu dégarni : que s’est-il donc passé, le 21 juin 1940 ? Il sait qu’il a été fait prisonnier le lendemain, qu’ils étaient bombardés…Par les italiens ! Sur ordre de Mussolini, ces derniers ont en effet lancé une violente attaque la veille de l’armistice franco-allemande…
Comme la plupart des anciens combattants qui ont participé directement à la guerre, Jean Bégué a peu raconté ses souvenirs concernant cette période. Une fois, il a indiqué qu’il était en motocyclette et devait aller dans un village. Aux abords de ce dernier, un habitant lui avait dit de faire demi-tour, car les allemands occupaient déjà la place centrale. Sans ce précieux conseil, il n’aurait pas été là à nous raconter l’histoire !
Les prisonniers français sont tout d’abord parqués dans des camps, en France, comme celui de Mirecourt dans les Vosges, où a du aller Jean Bégué. Compte tenu du chaos, la situation de tous ces soldats n’était pas connue de leur famille, et beaucoup de soldats ont pensé pouvoir revenir vite chez eux, un armistice ayant été signée. En fait, ils ne sont autorisés à envoyer et à recevoir du courrier qu’à partir du 6 septembre à condition de ne pas donner d’indication géographique dans les lettres. Les camps sont numérotés.
A Cazaux-Debat, la mère de Jean Bégué avait installé ou rénové des niches pour y mettre la Vierge, afin de protéger son fils unique.
Niche de la vierge qui se trouve à l'angle de la fontaine à Cazaux-Debat, en remontant la Carrère : elle protégeait Jean Bégué pendant la guerre
L’idée des Allemands était d’utiliser le plus possible de prisonniers pour pouvoir remplacer dans les usines où dans les fermes les soldats allemands mobilisés. De part ses compétences de paysan et de conducteur, Jean Bégué n’a pas du rester longtemps dans les Vosges. Il est envoyé avec Henri Fouran dans un Stalag (camp de base, pour soldats et sous-officiers) en Silésie. Là, il est chargé de conduire un train dans une mine de charbon à ciel ouvert.
Les prisonniers sont immatriculés, on leur coupe les cheveux, on les fouille. Ils ne connaissent pas la durée de leur enfermement. Ils sont très mal nourris. Ils peuvent être punis. Pourtant, les conditions de prisonnier de guerre étaient nettement moins dramatiques que celles de déporté en camp de concentration : ils étaient protégés par la convention de Genève relative aux prisonniers de guerre.
La Convention de Genève du 27 juillet 1929 pose le principe général selon lequel les captifs doivent être traités, en tout temps, avec humanité. Ils doivent être notamment protégés contre les
actes de violence, les insultes et la curiosité publique ; en outre il est interdit d'exercer des représailles contre eux. La convention est très précise. Elle définit les conditions
d’enfermement, de travail des prisonniers, de nourriture, de réception du courrier et des colis, etc. Ces dispositions ont été à peu prés respectés pour les britanniques et américains, qui
avaient des prisonniers de guerre allemands, moins pour les français, beaucoup moins pour les polonais, et pas pour les soviétiques, qui ne l’avaient pas ratifiée. Environ 55% des prisonniers de
guerre soviétiques sont morts en captivité. De plus, les prisonniers soviétiques « libérés » par leurs compatriotes ont été souvent exécutés ou envoyé en camp de concentration en Union
Soviétique. C’est pourquoi les nazis ont réussis à retourner un nombre conséquent de prisonniers caucasiens (ils considéraient les Caucasiens comme des aryens, même les juifs) ou venus de Sibérie
et à les intégrer dans les unités de la Wehrmacht, en particulier la SS.
L'un des plus gros camps allemands de prisonniers de guerre était, entre 1939 et 1945, le Stalag VIII-B, à Lamsdorf en Haute-Silésie (aujourd'hui Łambinowice en Pologne). Plus de 300 000 soldats
y furent emprisonnés. C’est sans doute là que fut emmené Jean Bégué et ses compagnons. En effet, les prisonniers y étaient employés dans les mines de charbon à ciel ouvert ou les fermes, le
travail en usine étant réservé aux anglais. Jean Bégué nous a toujours dit que ces derniers étaient privilégiés. Il y avait dans ce camp beaucoup de britanniques, des polonais et, à part,
des soviétiques, particulièrement maltraités. Environ 200 000 prisonniers russes séjournèrent au stalag VIII-F. 40 000 d'entre eux moururent à cause des conditions de vie et de travail
particulièrement pénibles qui leur étaient imposées.
Vie quotidienne au stalag
Sur ses conditions de détention, Jean Bégué nous a dit trois choses : il dormait sur une plaque de ciment, et pour pouvoir mieux dormir, il avait trouvé trois morceaux de planche, une pour la
tête, une pour les hanches et une pour les chevilles. Comme il était conducteur de locomotive, dans la mine, il amenait le charbon à l’extérieur et il traversait des champs de pomme de terre. Il
avait ainsi réussi à se procurer des pommes de terre, qui amélioraient l’ordinaire. Ils avaient également tentés une sorte de grève, pour le respect des conditions de travail dans le cadre des
conventions de Genève, mais la riposte avait été dure.
Ils étaient mal nourrit : un liquide à base de malt le matin, une soupe à midi avec dedans, en principe, un morceau de viande par tête le dimanche, du « thé » (un liquide rallongé du matin) à 5
heures et le soir, un morceau de 200 grammes de pain, un carré de margarine, une cuillère à soupe de confiture les jours pairs, une rondelle de saucisse les jours impairs.
En complément, à partir de janvier 1941, les prisonniers reçoivent des colis de leur famille : deux colis de 5 kilos par mois. Ils reçoivent aussi, par la Croix rouge, ce que l’on a appelé les «
biscuits Petain » : il s’agit de biscuit à forte valeur nutritionnelles. Ces compléments de nourriture ont représenté, entre janvier 1941 et l a fin de l’année 1944, un complément pour chaque
prisonnier de 200 grammes de vivres par jour. C’est la différence entre les prisonniers protégés par les conventions de Genève, et les autres. Cette différence a sauvé bien des vies.
Par les colis, ils recevaient aussi des vêtements, des livres, des instruments de musique et même, pour certains et quand ça échappait à la fouille, le nécessaire pour s’évader (faux papiers,
cordes, outils…). Les planches des colis étaient réutilisées. C’est ainsi que Jean Bégué a amélioré son couchage.
Chaque prisonnier pouvait recevoir deux lettres de 26 lignes par mois, très contrôlées par la censure. Le rapatriement de certains prisonniers, anciens de 14-18 ou rapatriés sanitaires, a permis
des contacts directs avec les familles, et de mettre en place des systèmes de codage du courrier.
Stalag : l'arrivée du courrier
La situation de prisonnier était variable : certains étaient affectés dans des « Kommandos » de petites tailles, chez des cultivateurs ou des artisans, dans de petits ateliers en ville. D’autres,
dans des usines. La situation qu’à vécue Jean Bégué faisait partie des plus dures. Il était conducteur de locomotive, donc relativement indépendant dans son travail. D’autres pouvaient « se
planquer », dans les bureaux. Il y avait les caïds, qui maitrisaient tous les trafics possibles dans ce genre de circonstance, même auprès des geôliers : avec les colis, toutes sortes d’échanges
étaient possibles. Et il y a ceux qui travaillaient à l’extraction du lignite, dans la mine.
Comme le montre l’épisode de « la grève », les prisonniers sont solidaires entre eux, surtout en cas de crise. Autrement, ils se regroupent par affinité géographique, ou sociologiques : entre
paysans, entre ouvriers, entre intellectuels… Leur conditions d’hébergement les amènent à vivre dans une forte promiscuité. Les couchettes sont sur 3 étages, serrées. Il faut s’organiser
pour le ménage, la lessive et le partage de toutes ces tâches.
La chambrée au Stalag, également appelée "la popote"
Au début de l’année 1945, les prisonniers peuvent apercevoir les flammes des mitrailleuses de l’armée soviétique, qui combat à quelques centaines de mètres du camp. Les Allemands font alors
évacuer le camp le 21 janvier 1945. Plusieurs milliers de prisonniers doivent marcher à travers les territoires tchèques occupées par les nazis pour rejoindre le Stalag XIII-C en Bavière ou le
Stalag XIII-D à Nürnberg. La marche, sous des températures de -15°C à -20°C est extrêmement pénible et beaucoup de prisonniers en sont morts. Jean Bégué et ses compagnons ont une charrette à
bras, à deux roues, pour porter les plus faibles. Les tchèques des villages et villes traversées par la colonne, leur fournissent un peu de nourriture et de vêtements. Beaucoup de prisonniers
parviennent à s'échapper ou sont abrités par les habitants. Les prisonniers arrivent ainsi, après trois semaines de marche, au sud de la Bavière, et par la suite au Stalag XIII-D près de
Nuremberg. C’est là que Jean Bégué est libéré par les américains.
1945 : des prisonniers libérés arrivent sur le quai d'une gare, en Alsace
Il rentre à Cazaux-Debat et reprend son travail de chauffeur Poids-lourd chez Franque, puis chez Lafitte.
37 000 soldats faits prisonniers en 1940 sont morts en captivité. Ceux qui sont rentrées n’ont pas eu droit d’intégrer la plupart des associations d’anciens combattants existantes, celles des
vainqueurs de 1918. Ils ont créé leurs propres organisations, ouvertes plus tard à d’anciens combattants aux caractéristiques proches, ceux d’Indochine et d’Algérie.
Je me souviens l’avoir vu regarder une émission TV relative aux grandes batailles de la seconde guerre mondiale. Il ne regardait pas trop ce type d’émission, d’habitude. Il préférait les variétés. Là, il était captivé. L’émission montrait la prise de Berlin par les soviétiques : comme j’avais manqué le début, il me racontait : « tu te rends compte ! Ils ont mis un canon tous les 10 mètres, autour de Berlin ! ». Il avait eu sa revanche, lui et ses compagnons de 1940, les vaincus de l’histoire.
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