En ce samedi 29 mai 1943, en fin d’après-midi, deux tractions avant de marque Citroën montent vers le village de Barrancoueu. Arrivés sur la place, six hommes en descendent et se dirigent vers la salle de classe. Celui qui parle français s’adresse à l’institutrice, Gaby Fisse. « Faites sortir les enfants, en rang, dans la cour. » Et quand les enfants sont alignés : « Qui est Georg Dubois ? » Un enfant sort du rang. Les hommes le séparent de ses camarades. Ils lui parlent en allemand. L’enfant baisse son pantalon, sa culotte... Les hommes ont trouvé ce qu’ils étaient venus chercher. Un enfant. L’institutrice pleure. Les écoliers sont terrorisés. Ils emmènent Georg et l’institutrice.
Lundi 31 mai 1943, il est 13 heures 30. Les deux tractions se garent sur la place de la fontaine, à Cazaux-Debat. Les hommes en descendent. Ils se dirigent vers l’ancien presbytère, où se trouve l’école. Les enfants écoutent sagement la leçon de mademoiselle Fourasté, une jeune institutrice stricte et sévère. Les hommes pénètrent dans la salle de classe. Celui qui parle français dit à l’institutrice : « Suivez-nous ». L’institutrice ne semble pas surprise. Elle dit à une élève : « Va chercher madame Rey et préviens ton père ». Elle dit au revoir à ses élèves et elle part, encadrée par les hommes. Madame Rey arrive, garde les enfants. Le maire a été prévenu, et à son tour, va informer les gendarmes à Bordères, et ceux qui doivent être avertis.
En juin 1943, le Préfet des Hautes Pyrénées est saisi par l’Inspecteur d’académie du département. Deux institutrices, mesdemoiselles Fourasté et Fisse, sont parties à Amiens escortées par la police allemande, sans qu’il en soit informé. L’enquête est confiée à un inspecteur des renseignements généraux, monsieur Talazac.
L’inspecteur Talazac part à Arreau pour répondre aux questions suivantes :
• Pourquoi la Gestapo (qu’il appelle le SD Allemand, son nom officiel) a-t-elle arrêtée deux institutrices dans les vallées d’Aure et du Louron, pour les transférer à Amiens ?
• Ces institutrices étaient-elles communistes et membre d’un réseau de résistance ?
• Et accessoirement mais on ne se refait pas : étaient-elles de bonnes mœurs ?
L’inspecteur Talazac est un agent des renseignements généraux, un service nouveau, composé généralement d’anciens des moeurs ou de la police des trains. Un service qui lutte contre la délinquance sexuelle, particulièrement la prostitution, et la délinquance morale, qui est depuis 1938, le communisme. Auparavant, ce service a lutté contre les ligues d’extrême droite. Il a du mal à collaborer avec le commissariat aux questions juives : la police est connue pour son corporatisme et aussi, là, il y a une opposition entre une police d’origine républicaine, marquée par la valeur de neutralité et de laïcité, et une police politique, le commissariat aux questions juives, qui est marquée par l’idéologie antisémite du régime de Vichy et de l’occupant allemand. L’inspecteur Talazac a d’ailleurs apporté son aide, des renseignements, à un réseau de résistance de la région de Lannemezan.
C’est un enquêteur sérieux. Il rencontre la police allemande, la gendarmerie d’Arreau, de Bordères Louron, peut-être même de Saint-Lary. Il a du aussi rencontrer les maires de Barrancoueu et de Cazaux-Debat.
Des premiers, il a obtenu les renseignements suivants :
Le SD allemand est venu à Barrancoueu pour arrêter Georg Hirsch, un petit garçon autrichien de 9 ans. Pourquoi un tel zèle ? En 1943, ils ont arrêté à Amiens une résistante autrichienne d’origine juive, qui se faisait appeler Rose Hirsch. Cette femme habitait 46 rue Lenôtre un appartement qu’elle louait. Elle était, semble-t-il, une des rédactrices d’un journal, « Die Warheit ». Ce journal est produit par une organisation appelée l’Österreiche Freiheitsfront ou front national de libération. Un membre important de ce réseau se faisait appeler Jean Améry. Ce réseau était actif en Belgique, qui faisait partie d’une administration militaire allemande s’étendant aussi sur les départements français du Nord et du Pas de Calais. Arras se trouvait à quelques kilomètres, sur la Somme, en zone interdite. Rose Hirsch, de son vrai nom Irma Hirsch semble avoir été chargée de diffuser le journal auprès des soldats des forces d’occupation, pour les inciter à déserter ou, tout au moins, à douter de leur mission et d’un issue favorable du conflit, pour ce qui concerne l’Allemagne. C’est une activité très dangereuse. Elle s’est fait prendre. Elle est en prison, à Amiens. Le SD surveille sa boite au lettre. Et une lettre arrive. Elle est signée Georg Hirsch, et timbrée à Arreau, dans les Hautes Pyrénées. Les allemands apprennent ainsi qu’Irma Hirsch a un fils, que ce fils était chez « Andrée », qu’il est maintenant chez « Gaby ». Et qu’il joue avec « Jean ».
Après avoir repéré Arreau sur la carte, ils télégraphient à leurs collègues présents dans le département des Hautes Pyrénées. Ces derniers mènent l’enquête, auprès de leurs informateurs habituels ou de personnes trop bavardes. Ils apprennent ainsi qu’il y a deux institutrices, une qui s’appelle Gaby Fisse, et l’autre Andrée Fourasté. Que ces deux institutrices gardent depuis quelques temps un enfant appelé Georges et que cet enfant est à Barrancoueu avec Gaby Fisse. Ils passent à l’action : le samedi 29 mai 1943 , en fin d’après-midi, ils montent à Barrancoueu, et arrêtent Gaby Fisse et Georg Hirsch, non sans avoir fait baisser sa culotte au gamin, pour vérifier s’il était circoncis. Ils les amènent au siège de la Gestapo, à Tarbes.
Le lundi 31 mai, vers 13 heures, ils se rendent à Cazaux-Debat pour procéder à l’arrestation d’Andrée Fourasté (Jeanne Andrée Fourasté, à l’Etat civil). Et ils les amènent tous les trois à Amiens, pour les confronter à Irma Hirsch. Voilà les éléments qu’ils donnent à l’inspecteur Talazac. Ils précisent que les institutrices se sont déplacées de leur plein grès. Et sans doute n’ont-ils pas donné de détails, concernant l’arrestation de Georg Hirsch, d’ailleurs ressortissant du Reich Allemand.
L’inspecteur rencontre ensuite les gendarmes de Bordères-Louron : ces derniers ont transmis un rapport au préfet, le jour même de l’arrestation d’Andrée Fourasté :
« Arrêtée le 31 mai 1943 vers 13 heures. Lieu de détention : Arreau d’abord et ensuite conduite en voiture pour une destination inconnue.
Autorité française intervenue : néant.
Renseignements complémentaires : D’après les renseignements recueillis, il résulte que l’intéressée vivait en bon termes avec la famille SPIEGEL, de nationalité autrichienne, qui a quitté la
localité, le mari au mois de Novembre 1942, la femme dans le courant du mois de février 1943, pour une destination inconnue.
Fourasté jouissait de la sympathie générale dans la localité. Elle n’a jamais fait l’objet d’aucune remarque défavorable. »
Ce type de rapport était systématiquement adressé au préfet quand il y avait des interpellations réalisées par les forces d’Occupation contre des français ou même des étrangers. Souvent d’ailleurs, ces rapports faisaient état de violence ou de vols commis à l’occasion par les allemands. Cela ne semble pas avoir été le cas pour ce qui concerne Jeanne Fourasté. Toutefois, l’inspecteur apprend qu’il y a eu d’autres Autrichiens présents à Cazaux-Debat : les Spiegel, et d’autres. Une femme inconnue décédée quelques mois auparavant, et un tchèque. Et aussi, une américaine ! Les Allemands aussi ont dû l’apprendre, ce qui a déclenché l’arrestation de mademoiselle Fourasté. Et c’est grave. Aider des ressortissants du Reich résistants notoires au régime d’Adolf Hitler : mademoiselle Fourasté risque les plus graves ennuis, à une époque où l’Occupant a mis au point une doctrine policière qu’il a appelé « Nuit et Brouillard » : les personnes arrêtées disparaissent sans laisser de trace. Les gendarmes de Bordères lui expliquent que ces étrangers sont partis, il y a quelques mois. Selon eux, ils se sont perdus dans la neige et sont morts quelque part, dans la région du Rioumajou. Ce n’est pas la voie la plus directe pour passer en Espagne depuis Cazaux - Debat, mais bon : chacun se satisfait de l’histoire. La plupart des évadés vers l’Espagne passaient par là, en hiver. Les gendarmes de Saint-Lary confirment : on leur a dit que des étrangers s’étaient perdu dans la région du Rioumajou, ils sont allé voir et n’ont malheureusement pas pu ramener les corps. Peut être sont ils toujours sous la neige qui n’a pas encore fondue au Port du Rioumajou… Deux autrichiens ont réchappé aux Pyrénées : Madame Spiegel Irène, l’Américaine, et son petit garçon, qui ont pris le train vers Toulouse. Il n’en apprend pas plus. Cela ne l’intéresse pas, et n’intéresse plus les autorités françaises. Libre aux allemands de leur courir après s’ils le souhaitent.
Ce que l’inspecteur traduit ainsi dans son rapport :
« Ces quatre étrangers ont résidé un an environ dans la région d’ARREAU, BARRANCOUEU d’abord, puis à ARREAU et enfin à CAZAUX-DEBAT. Quoique se disant intellectuels, ils étaient employés comme bûcherons dans une entreprise forestière d’ARREAU. Où ils vivaient assez misérablement. SPIEGEL parlait assez couramment le français. Dans ses conversations il parlait rarement de politique mais ne cachait pas qu’il était anti-allemand à outrance et il se vantait d’avoir combattu en Pologne contre les Allemands. Dans le courant du mois de décembre dernier, ces quatre étrangers disparurent brusquement. On raconta quelque temps plus tard qu’ils étaient tombés dans un trou de neige dans la région du Rioumajou alors qu’ils tentaient de passer en Espagne. La gendarmerie de St-LARY effectua des recherches dans la région frontière, mais ne retrouva aucune trace des fugitifs.
Ces quatre étrangers, tous excellents alpinistes, avaient vraisemblablement réussi à traverser le Rioumajou malgré l’épaisse couche de neige et à atteindre l’Espagne. Mme SPIEGEL et son enfant restèrent encore quelques temps à CAZAUX-DEBAT ; ils ne partirent qu’au début de février se dirigeant sur TOULOUSE. »
Il rencontre les maires de Barrancoueu et de Cazaux – Debat. Ils sont encore traumatisés par la venue de la Gestapo, des « Bosches », comme ils disent, dans leur village. Venir ainsi, en pleine classe, arrêter des institutrices et un gamin ! Ils n’ont rien pu faire, mais ils défendent leur institutrice devant l’inspecteur. Il rencontre diverses autres personnes lui permettant de dresser des deux institutrices arrêtées le portrait suivant :
« Melle FOURASTE Andrée fait l’objet de très bons renseignements au point de vue conduite et moralité. Elle n’a jamais fait de politique active, néanmoins elle aurait des opinions assez avancées. Elle est représentée surtout comme une idéaliste. Ses parents, boulangers à ARREAU sont très bien considérés dans cette localité, son frère est le directeur de l’école d’ARREAU.
Melle FISSE Gabrielle est originaire d’ANCIZAN où ses parents exploitent une filature. ../… Au point de vue politique, elle a milité assez activement en faveur du parti communiste et elle était avant la guerre une pacifiste convaincue. »
L’inspecteur a les renseignements qui l’intéressent, sur la moralité et les opinions politiques. Il a obtenu aussi des renseignements précis sur certains autrichiens passés par Cazaux – Debat :
« D’après les renseignements recueillis, c’est Melle FOURASTE qui, en septembre dernier, au cours des grandes vacances, s’était rendue à BORDEAUX pour aller chercher l’enfant dont il s’agit. A son retour elle a remis cet enfant à quatre étrangers qui résidaient à ce moment là chez M. REY à CAZAUX-DEBAT, à savoir :
- SPIEGEL Harry, de nationalité ex-autrichienne ;
- JELLINECK Paul, né le 17-3-1910, à VIENNE, de nationalité ex-autrichienne ;
- TOMASONICH Jean, né le 25-6-1899 à ALINDINA (Tchécoslovaquie) ;
- MEISEL Joseph Misel, né le 18-4-1911 à WEY NEUSTADT (Tchécoslovaquie), de nationalité tchécoslovaque.
Ces quatre étrangers étaient accompagnés de deux femmes, Mme SPIEGEL Irène, née le 2 janvier 1910 à BROOKLYN (U.S.A.) de nationalité américaine, la deuxième décédée à l’hôpital de TARBES fin 1942 n’a pas pu être encore identifiée. »
Comment a-t-il eu ces renseignements ? Par les gendarmes ? Par le maire de Cazaux-Debat ? Par la Gestapo, à Arreau ? De toute façon, Ces étrangers ont séjourné dans les vallées d’Aure et du Louron entre 1940 et 1943. Ils avaient des papiers en règle. Ils avaient un permis de travail, comme bûcherons et charbonniers, activités qu’ils ont effectivement exercées. Et le maire de Cazaux-Debat leu a obtenu des tickets de rationnement. Enfin, l’enfant de madame Spiegel est née à Arreau, en 1941. Il figure au registre de l’Etat civil.
Au cours de son enquête, il s’intéresse au petit garçon, Georg Hirsch. Il tient à produire un témoignage sur cet enfant qui semble ne plus avoir de père, et dont la mère, juive autrichienne, a été arrêtée pour résistance antinazie par la Gestapo.
« Les recherches effectuées par les services de la police allemande dans la région d’ARREAU en vue d’identifier et de retrouver le garçonnet auteur de la lettre adressée à monsieur RUNSSEAU, 46 rue Le Notre, à AMIENS ont abouti à la découverte de cet enfant qui était hébergé chez Melle FISSE institutrice. A BARRANCOUEU (H.P.). C’est ainsi que le S.D. Allemand a procédé dans la soirée du samedi 29 mai à l’arrestation de Melle FISSE et du garçonnet tandis que Melle FOURASTE, institutrice à CAZAUX-DEBAT qui s’était également occupée de cet enfant était appréhendée dans la matinée du lundi 31 mai.
D’après les renseignements recueillis, c’est Melle FOURASTE qui, en septembre dernier, au cours des grandes vacances, s’était rendue à BORDEAUX pour aller chercher l’enfant dont il s’agit. A son retour elle a remis cet enfant à quatre étrangers qui résidaient à ce moment là chez M. REY à CAZAUX-DEBAT…/…
Après le décès de la femme qui élevait le petit Georges et le départ de SPIEGEL et de ses trois camarades, Melle FOURASTE garda quelques jours l’enfant qu’elle confié ensuite à Melle FISSE.
Ces deux institutrices n’ont fait de confidence à personne, même pas à leurs parents, sur l’origine de Georges DUBOIS. Melle FOURASTE se bornait à dire que c’est elle qui avait été le chercher, à BORDEAUX et qu’il était orphelin de père. Il semble néanmoins que Melle FOURASTE a ramené l’enfant de BORDEAUX à la demande de SPIEGEL ou de l’un de ses camarades. En effet, si Melle FOURASTE avait voulu faire acte de charité ou de solidarité en recueillant cet enfant, elle ne l’aurait pas confié dès son retour de BORDEAUX à ces étrangers qui vivaient déjà assez misérablement et n’avaient pas les moyens d’élever convenablement cet enfant, alors qu’elle-même pouvait assurer largement son existence sans gêne. …/…
Il n’apparaît pas, en conséquence, qu’il y ait qu’il y ait une liaison quelconque entre le « FRONT NATIONAL & DE L’INDEPENDANCE »d’AMIENS et Melles FOURASTE et FISSE. Ces dernières ont des opinions avancées notamment Melle FISSE qui était considérée avant la guerre comme communiste et pacifiste, mais il ne semble pas, qu’en la circonstance, elles aient agi dans un but politique ; l’enfant leur a certainement été confié par SPIEGEL qui devait connaître sa famille.
D’après les renseignements fournis par la Police allemande, le garçonnet serait le fils de la femme HIRSCH, arrêtée à AMIENS en raison de ses relations avec le nommé BERGER Jean, militant du « FRONT NATIONAL ». Melles FOURASTE et FISSE auraient accepté volontairement de se rendre à AMIENS pour les besoins de l’enquête et leur voyage serait payé par les autorités d’occupation.
Aucun renseignement n’a pu être recueilli dans la région d’ARREAU sur le nommé BERGER Jean. Il a néanmoins pu être établi avec certitude qu’aucune personne n’est venue rendre visite au petit Georges, soit à BARRANCOUEU, soit à CAZAUX-DEBAT. Une telle visite n’aurait pas manqué d’être remarquée par les habitants de ces deux petites localités. Le « Jean » dont il est question dans la lettre de Georges DUBOIS est un camarade de ce dernier. Il s’agit du petit Jean COMPAGNET de BARRANCOUEU. »
Le 9 juin 1943, l’inspecteur Talazac transmet son compte rendu à son supérieur hiérarchique, le commissaire principal chef du service des renseignements généraux à Tarbes. Le rapport est transmis au Préfet des Hautes Pyrénées, avec cette observation du chef de service :
« A TOUTES FINS UTILES
Il est incompréhensible que ces deux institutrices aient accepté de se rendre volontairement à AMIENS sans en référer à quiconque. »
Le rapport de l’inspecteur, le commentaire de son supérieur le montrent : ils n’aiment pas les forces d’occupation, et à demi-mot, ils signifient aux différentes autorités que
les deux institutrice comme l’enfant, sont en danger. Du moins, mademoiselle Fourasté et le petit garçon. Au moment où l’inspecteur signe son rapport, le 9 juin 1943, il semble que mademoiselle
Fisse ait déjà été libérée, ce qui est toujours suspect. L’inspecteur la « charge » donc, dans son rapport : sur ses mœurs, sur son engagement politique, tous cela pour essayer de dédouaner
autant que possible mademoiselle Fourasté. Le seul fait d’aider un juif, sous le régime de Vichy et sous l’occupation allemande, est considéré comme un crime est passible d’emprisonnement et de
déportation, sans jugement : « Nuit et Brouillard ».
D’ailleurs, l’inspecteur Talazac ne mentionne jamais que Georg Hirsch ou l’un des autrichiens puisse être juif. C’est un fonctionnaire républicain, nourrit au lait de la laïcité : il ne fait pas
référence à la religion.
L’inspecteur le montre dans son rapport : il est ébranlé par le sort réservé au petit garçon. Il l’appelle « le petit Georges », « le garçonnet », « le gamin »… Il sait que la mère a été arrêtée pour avoir fait partie d’une organisation « terroriste ». Il est policier. Il comprend le rôle que la Gestapo entant faire jouer à Georg Hirsch : être un moyen de pression insoutenable pour sa mère. Il a compris aussi que le sort qui attend celle-ci peut augurer le pire pour son fils. Peut-être est-ce suite à cette enquête, que l’inspecteur a opté pour la Résistance.
En mai 1943, le département des Hautes Pyrénées est occupé depuis 8 mois. Une partie du territoire, la montagne, est située en zone interdite. Le gouvernement du Maréchal Pétain est discrédité pour une grande partie de la population depuis qu’il a laissé les allemands envahir la zone Sud et dissout l’armée d’armistice. Le Préfet des Hautes Pyrénées ne cesse d’adresser à ses supérieurs des rapports relatant les exactions de l’occupant : vols lors d’arrestations, confiscation de matériels ou comme dans l’affaire des deux institutrices, arrestation d’un enfant. Parallèlement, il a dans ses services des personnes qui, comme l’inspecteur Talazac, aident la résistance ou les filières d’évasion vers l’Espagne. Ces filières reposent sur des personnes qui ont constitué des réseaux : des institutrices, des médecins, des personnes du clergé, des syndicalistes… Ces réseaux s’entrecroisent, sollicitent des passeurs, des personnes de confiance de façon régulière ou non.
Réfugiés juifs de France et des Pays-Bas passant de France en Espagne en empruntant un passage dans la chaîne des Pyrénées. Ils sont sauvés par “Dutch-Paris,” le réseau créé par l’adventiste du septième-jour Johan Weidner. Vers 1940.
— Gay Block and Malka Drucke
Depuis la fin de l’année 1942, la résistance prend une autre tournure : des groupes armés s’organisent. Un officier de Pau a organisé un puissant groupe de maquisards qui porte son nom : le Corps-franc Pommies.
http://cfp49.ri.free.fr/liberation.html
A Bagnères, un maquis est organisé autour de « Bernard » : Maurice Bénézech est un ancien soldat, sous-officier de l’armée d’armistice. Il était membre du mouvement combat. C’est lui qui organise le maquis, gonflé très vite par les réfractaires au S.T.O., créé en février 1943. Le commissaire de police, monsieur Vigoureux, aide directement ce réseau, comme certains gendarmes. En ce mois de mai 1943, Jean Moulin a regroupé plusieurs mouvements au sein des Mouvements armés de la Résistance (les MUR). Les communistes ont leur propre mouvement, les FTPF et pour les résistants étrangers, les FTP-MOI. Un maquis FTP se développe à Nistos-Esparros, dans les Baronnies. Un maquis de guerreros espagnols anciens de la guerre d’Espagne s’est constitué dans la vallée d’Aure, à partir d’anciens des Compagnies de travailleurs étrangers employés dans des chantiers de montagne.
A l’extérieur du pays, en ce printemps 1943, la situation est de plus en plus difficile pour les allemands et leurs alliés européens.
Sur le front de l’Est, les Soviétiques contre-attaquent dans le Caucase. Les Allemands ont perdu la terrible bataille de Stalingrad, où 24 généraux et un maréchal du Reich se sont rendus à l’ennemi, des centaines de milliers de soldats sont morts ou ont été capturés, ce qui ne vaut guère mieux. 5% des soldats, 90% des officiers reverront un jour l’Allemagne. Les Soviétiques ont le sens de la hiérarchie.
http://www.youtube.com/watch?v=tOYyq2QuZcA&feature=related
Les alliés des nazis, les roumains, les hongrois, les italiens, commencent à prendre contact avec les alliés.
En Pologne, le Ghetto juif de Varsovie c’est soulevé. Les défenseurs du ghetto, affamés et mal armés ont tenus tête pendant des semaines à la puissante armée Nazie. Refusant de rendre les armes, les derniers combattants se suicident.
Combattante de la résistance juive capturée après avoir été débusquée de son bunker clandestin par des soldats allemands au cours de la révolte du ghetto de Varsovie. Varsovie, Pologne, du 19 avril au 16 mai 1943.
— National Archives and Records Administration, College Park, Md.
En mai 1943, l'Afrika Korps a capitulé en Tunisie. C’est la fin de la possibilité pour les allemands d’atteindre de vastes champs pétrolifères, après leurs échecs dans le Caucase. Le 13 mai 1943, 200 000 soldats allemands et italiens sont prisonniers des anglais, des américains débarqué quelques mois plus tôt à Alger, et des français. En quelques semaines, à partir du 15 novembre 1942, l’armée française préparée dans la clandestinité c’est reconstituée en Afrique et prend une part active aux côtés de ses alliés. 14% de la population masculine d’Algérie, toutes communautés confondues, est dans l’armée active ! Des volontaires de plus en plus nombreux, en particulier des militaires de l’ancienne armée d’Armistice rejoignent la « France libre », via l’Espagne. André Soutiras, un jeune homme de Cazaux-Debat, passe aussi la frontière espagnole et rejoint « l’armée d’Afrique ».
http://www.cheminsdememoire.gouv.fr/page/affichecitoyennete.php?idLang=fr&idCitoyen=39
Alors, le 29 mai 1943, jour de l’arrestation de Georg Hirsch, une ordonnance de l’occupant allemand impose le port de l’étoile jaune. Depuis 1942, des convois quittent Drancy régulièrement en direction des camps d’extermination. Les allemands s’en prennent aux juifs, de façon de plus en plus systématique. Pas seulement les allemands, pas tous les allemands non plus. La Résistance au nazisme, particulièrement difficile en Allemagne et depuis 1938, en Autriche, est active. Sous le régime nazi, plus d’un million d‘allemands ont été exécutés, internés ou déportés pour faits de résistance. Cacher des juifs, maintenir des réseaux politiques, syndicaux, religieux ou culturels interdits, organiser des actions de sabotage, déserter, rejoindre la Résistance des pays occupés… L’Autriche, pays neuf créé en 1918 sur un lambeau de l’ancien empire d’Autriche-Hongrie, a connu des années de crises politiques s’apparentant par périodes à une guerre civile jusqu’à l’union avec l’Allemagne Nazie en 1938. Le parcours des autrichiens présents à Cazaux-Debat et qu’évoque l’inspecteur Talazac montre que dans ce pays aussi, la Résistance a été active et très déterminée. Il montre aussi que le prix payé a pu être terrible.
Même s’ils se doutaient de la fin, ce n’est qu’en 2011 que le parcours de Georg Hirsch a été connu des habitants de Barrancoueu et de Cazaux-Debat.