Nous sommes en Autriche, à Vienne, le 6 septembre 1934. Albert et Irma Hirsch viennent d’avoir un fils, Georg. Il est baptisé dans le respect des rites de la religion juive et circoncis, selon la coutume.
Vienne la Rouge
Irma Hirsch est institutrice. Elle est née le 16 décembre 1910 à Znaim en Moravie, dans l’empire Austro-hongrois (aujourd’hui : Znojmo). Ses parents s’appelaient Max Diamant et Ida Sofer. Sa naissance a été enregistrée dans le registre des naissances de la communauté juive de la ville. Dans l’empire cosmopolite aux frontières fluctuantes que constitue l’Autriche Hongrie, les actes d’Etat civil sont enregistrés par les communautés religieuses.
Quand l’empire d’Autriche-Hongrie éclate en 1918, Znojmo se trouve intégré à la nouvelle république de Tchécoslovaquie. La ville, au Sud de Brno, fait partie des zones habités par les Sudètes, les communautés de Bohème-Moravie parlant allemand. Ils préfèrent Vienne à Prague, la capitale tchèque. Ils ont l’habitude de se rendre dans la capitale de l’Empire. Les populations de langues allemandes qui se trouvent du côté tchèque de la frontière souhaitent donc être intégrés à ce que l’on appelle en 1918, « l’Autriche allemande ». Ce souhait leur est refusé. Aussi, bien que la nouvelle République tchécoslovaque mène une politique de reconnaissance de ses nombreuses minorités, y compris juive, un certain nombre d’habitants décident de rejoindre l’Autriche et plus particulièrement sa capitale, Vienne. C’est ainsi qu’Irma Diamant qui a 8 ans en 1918, devient Viennoise.
A ce moment-là, beaucoup de juifs habitant les territoires de l’ex empire Austro-hongrois se réfugient en Autriche. Il y a des pogroms en Silésie, une région de l’Est de l’Europe, qui faisait partie de l’empire d’Autriche et que se disputent polonais et ukrainiens. La guerre civile en Union soviétique provoque également des Pogroms commis par certaines armées « Russes blancs ». Il y a la révolution en Hongrie, la guerre civile à Berlin. Des conflits armés liés aux revendications nationalistes éclatent un peu partout en Europe centrale. 200 000 juifs se retrouvent à Vienne au début des années 1920. Au cours du XIXème siècle, l’Empereur d’Autriche avait pris des dispositions pour protéger les communautés juives. Ces dernières étaient donc plutôt attachées à l’idée nationale autrichienne. Mais ils sont mal accueillis. Au début des années 1920, l’Autriche connais une très grave crise économique et sociale.
Vienne, anées 1930 : distribution de la soupe populaire
Irma Diamant rencontre Albert Hirsch, un viennois né en 1904, qui travaille dans l’industrie textile. Ils se marient à Vienne le 17 août 1930. A ce moment là, Vienne est surnommée « Vienne la Rouge ». Elle est dirigée par une majorité sociale-démocrate, beaucoup plus à gauche dans les faits que les sociaux démocrates qui dirigent le pays. Elle mène une politique sociale très active : protection maternelle et infantile, logement (construction de cités ouvrières ultra moderne, avec l’eau courante, sanitaires et salles de bains dans les appartements). Elle mène également une politique éducative très poussée. Les enseignants viennois, pourtant généralement conservateurs et chrétiens sociaux, constituent un personnel communal particulièrement choyé : formation innovante des maitres, égalité salariale hommes-femmes, salaires élevés, importance de la culture et du sport.
Le Karl Marx Hof, le batiment d'habitation le plus long du monde, symbole de Vienne la rouge
C’est une période très agitée, de guerre civile larvée entre les « austro-fascistes », la gauche et les nazis. Comme en Allemagne, chaque parti a sa milice. Les assassinats politiques sont nombreux.
Albert Hirsch est militant du KPÖ, le Parti Communiste Autrichien. Ce petit parti a peu de poids politique : les sociaux-démocrates sont puissants, ils reflètent une idéologie marquée très à gauche (le programme officiel du Parti inclus la dictature du prolétariat), le socialisme municipal, on l’a vu, est très efficace. Le KPÖ est un petit parti, mais il est dynamique. Fondée juste après la première guerre mondiale, au moment où se constitue un peu partout en Europe Centrale des « Conseils d’ouvrier », sur le modèle des Soviets en URSS, ce parti s’aligne sur le Parti communiste d’Union soviétique après la prise du pouvoir par Staline. La situation politique empire. En 1927, des combats ont lieu entre miliciens socialistes et chrétiens sociaux, faisant plusieurs morts. Le palais de justice de Vienne est brûlé. Les manifestations qui s’en suivent et les heurts avec les forces de l’ordre font une centaine de morts chez les socialistes. La rupture est consommée entre les deux camps. Les chrétiens sociaux au pouvoir évoluent vers la dictature. La crise économique n’épargne pas l’Autriche à partir des années 1930. C’est la seconde que connaît le pays en une dizaine d’années. L’antisémitisme est un sentiment qui se développe dans la population autrichienne. Mais les chrétiens démocrates ont pour ennemis premiers les socialistes et même s’ils sont peu nombreux, les communistes.
La répression
En 1933, les chrétiens sociaux dont le pouvoir est menacé par la poussée de la gauche aux élections, dissolvent le parlement. Le régime devient autoritaire, fasciste (il organise des corporations et repose sur le pouvoir d’un chef, le chancelier Dollfuss) mais reste catholique. C’est ce que l’on appelle l’austro-fascisme. En février 1934, les milices et la polices du régime décident de désarmer la milice des sociaux démocrates. Ces deniers ne se laissent pas faire. Les forces de l’ordre et leurs alliés tirent à l’arme automatique, et même au canon contre les cités ouvrières : il y a 1500 victimes environ, dont plusieurs centaines de morts. Les partis de gauche, les syndicats, sont interdits. Les principaux responsables socialistes ou communistes sont emprisonnés ou prennent le chemin de l’exil. C’est la fin de « Vienne la Rouge ». En juillet 1934, les Nazis tentent un coup d’Etat. Le chancelier Dollfuss est assassiné. L’Allemagne nazie n’a pas le moyen à ce moment là d’aider ses alliés autrichiens. Mais à partir de 1935, elle se remilitarise et remporte ses premiers succès. La pression devient forte sur le régime du chancelier Von Schuschnigg.
Albert Hirsch est actif au cours de cette période . Après les évènements de 1934, environ 15000 opposants de gauche au régime sont ainsi emprisonnés dans des conditions très difficiles, en particulier au camp de Wöllersdorf, dans la Région de Vienne. Albert Hirsch fait au moins un séjour à Moscou, où il étudie à l’école Lénine, l’école des cadres du Kominterm, L’Internationale communiste. Il est arrêté à plusieurs reprises. Quand a-t-il était emprisonné ? Quand a-t-il été à Moscou ? Etait-il alors accompagné de sa famille ? On peut en douter. Il a pu aller passer un an ou deux à Moscou, seul. Il a pu être emprisonné avant, après ce séjour. Son fils, Georg, n’a pas du le voir souvent à la maison...
Ils partageaient pourtant tous les deux une passion commune, une passion autrichienne des années 1930 : le football. Dans les années 1920-1930, le football autrichien rayonne sur l’Europe. Son équipe nationale est dominatrice, même si elle perd contre l’Italie, pays hôte et futur vainqueur, en demi-finale de la coupe du Monde en 1934. Cette équipe, entrainée par Hugo Meisl, a révolutionné le football : le jeu en triangle, le WM, le jeu en passes courtes, les décalages pour éviter le marquage individuel… Le club des quartiers ouvriers de Vienne, le Rapid, domine en Europe. Même après l’unification de l’Autriche avec l’Allemagne, ce club parvient à être champion d’Allemagne malgré le départ en exil de nombreux joueurs. Et surtout, il y avait l'Austria de Vienne, le club des quartiers populaires et de la communauté juive, avec sa vedette élue depuis le sportif autrichien du siècle, lui aussi d'origine juive, Matthias Sindelar.
Les chemins de l'exil
En 1938, il faut partir. Les Nazis réussissent à renverser le Chancelier Von Schuschnigg. Ils réalisent l’union entre l’Autriche et l’Allemagne, l’anschluss. Les juifs sont immédiatement persécutés. Leurs biens sont pillés, il y a des meurtres, des arrestations. La famille Hirsch est particulièrement menacée. Avant du quitter le pouvoir, le chancelier Von Schuschnigg a décrété l’amnistie générale, libérant communistes, socialistes et nazis… Albert Hirsch quitte ainsi le camp de Wöllersdorf où il est alors emprisonné. Comme beaucoup de ses camarades, il prend le chemin de l’exil avec sa famille, pendant qu’Hitler reçoit un accueil triomphal de la majorité de la population. En mai 1938, Georg Hirsch quitte son pays avec ses parents, pour ne plus y revenir. Il a 3 ans et demi.
Comment partir ? Par où partir ? Et pour aller où ? Le chemin de l’exil commençait en général par la Tchécoslovaquie. La Suisse était inhospitalière, et l’Italie, fasciste. Ensuite, il fallait
prendre le train, traverser l’Allemagne Nazie jusqu’à la France ou la Belgique. Ce fut le parcours de la famille Hirsch, au printemps 1938. En juin, elle est en Belgique.
20 000 autrichiens trouvèrent refuge en France entre 1938 et 1940. Une enquête publiée dans le journal «Der Sozialistische Kampf» du 23 février 1939 révèle la situation sociale et matérielle des
réfugiés qui ont répondu au questionnaire. 65% des personnes interrogées avaient entre 20 et 40 ans, 87% étaient d’origine juive. La composition sociale du groupe reflétait la composition
sociale de la minorité juive en Autriche : 17% étaient ouvriers, 35%, employés, 5,5% intellectuels, 24%, travailleurs indépendants-artisans, et enfin, 18,5%, ménagères sans profession. Ces
réfugiés étaient d’origine très modeste. En France, leur situation était devenue très difficiles : 15% vivaient par leur propre moyen, 18% vivaient grâce à l’aide de parents, 9% survivaient grâce
à des amis et 56% vivaient des subsides donnés par le comité d’aide. 26% d’entre eux avaient moins de 300 F par mois pour vivre, 40,5% moins de 500 F. A cette situation humainement difficile, il
convient d’indiquer les mesures administratives de plus en plus difficiles qui leur étaient appliqués. La circulaire ministérielle du 12 octobre 1938, avec effet rétroactif, refusait le séjour à
tous les réfugiés entrés en France sans être munis d’un visa régulier. Ceux qui ont alors cherché à se réfugier en Belgique ou en Hollande, seuls pays matériellement accessibles et susceptibles
de les accueillir, risquaient encore d’être refoulés en Allemagne. Néanmoins, beaucoup purent rester en France de façon légale, tolérée ou clandestine.
La famille Hirsch est en Belgique, à Bruxelles. Albert et Irma Hirsch sont très actifs parmi les exilés qui travaillent à rassembler les antifascistes. Albert Hirsch participe à la fabrication du journal communiste « Die Rote Fahne » diffusé clandestinement en Belgique.
En mai 1940, la Belgique est envahie par l’armée Allemande. La veille, la police belge a procédé à l’arrestation massive de ressortissants allemands et autrichiens. Albert Hirsch est ainsi déporté à Saint Cyprien, dans le Sud Ouest de la France. Il retrouve la liberté après la débâcle.
La clandestinité
Albert Hirsch travaille, dans un premier temps, à renouer les fils entre les membres de l’organisation. Pour les dirigeants du Parti communiste autrichien en exil, c’est la première des préoccupations. La seconde préoccupation est politique. Le KPÖ est l’une des seules organisations politiques autrichiennes, avec les monarchistes, à avoir refusé l’anschluss. Beaucoup de ses membres sont juifs. Tout cela en fait une organisation certes respectueuse du pacte germano-soviétique, mais en même temps, résolument anti-nazi. Dans un premier temps, elle s’efforce donc de localiser ses militants, de les remobiliser et de les former. Les former à la langue française, à l’action militante clandestine.
En 1941, Albert Hirsch se rend à Barrancoueu où se trouve un groupe d’Autrichiens membres du KPÖ. Il aide le groupe à effectuer son travail de bûcheron et de charbonnier, et il dispense des cours pratiques. Il faut leur redonner le moral, leur expliquer qu’ils auront bientôt à reprendre le combat. Il découvre que le groupe est aidé par deux institutrices, celle de Barrancoueu et celle de Cazaux-Debat, dont le père est boulanger. Le groupe est assez peu homogène. Il a été constitué par les circonstances, lors de la débâcle. Il y a là Harry Spiegel, un ancien combattant de la guerre d’Espagne, avec sa femme Irène, une américaine, et leur petit enfant, un nourrisson. Il y a « Sepp » Gradl, le chef, celui qui organise la vie du groupe, le travail, qui a le contact avec le Parti à Toulouse ou à Lyon. Il était dans les cités ouvrières en février 1934 à Vienne, où il combattait les fascistes puis, dès qu’il a pu, il a rejoint les brigades internationales en Espagne. Il a été à Gurs, puis au Vernet, le camp « disciplinaire » de la République Française puis du régime de Vichy, avant de s’engager dans les Compagnies de travailleurs étrangers au moment des combats de mai et juin 1940. Il y a Paul Jelinek, ancien des brigades internationales comme Jan Gredler, un paysan du Tyrol également passé par Le Vernet, d’où il s’est évadé, et Richard Sehr. L’environnement pour ce groupe apparaît difficile. Le travail est pénible, ils ont du mal à se nourrir. Il est rejoint par une militante de la première heure du KPÖ, de santé précaire, Martha Guttmann. Elle assure l’intendance du groupe, fait la cuisine.
Le 1er mai 1942, Albert Hirsch est à Marseille, où il prononce un discours fantastique pour convaincre quelques camarades autrichiens de rejoindre la clandestinité. Il est ensuite instructeur en Normandie. Il est arrêté le 3 septembre 1942 à Chaville dans les Hauts de Seine, sous l’identité d’Ignatz Kohn, français né en Pologne en 1906, célibataire, ouvrier du textile et demeurant à Paris. Il est incarcéré à la prison de la santé à Paris.
Georg et Irma Hirsch à Paris : photo prise entre 1940 et 1942
Georges Dubois
C’est à ce moment là qu’Irma Hirsch décide de confier son petit garçon, alors âgé de 8 ans, aux autrichiens de Cazaux-Debat. Les membres du réseau sont en contact par différentes personnes qui se déplacent souvent avec de vrais papiers obtenus avec de fausses déclarations : Anna Grün, Zalel Schwager, Tilly Spiegel, Frantz Marek… A ce moment là, il existe toujours une zone libre et une zone occupée. Il s’agit donc de faire passer Georg Hirsch, avec de faux papiers, en zone libre, à Cazaux – Débat. Il s’appellera Georges Dubois. Une personne, peut-être sa mère elle-même, l’amène de Paris ou d’Amiens jusqu’à Bordeaux, par le train. C’est là que vraisemblablement, Andrée Fourasté le récupère et l’amène avec elle à Cazaux-Debat.
Sa mère repart à Amiens, où elle poursuit ses activités dans la résistance. Elle fait partie du Travail allemand, une organisation liée à la MOI (FTP Main d’Œuvre Immigrée, organisation mise en place par le parti communiste français pour les étrangers). Cette organisation rédige un journal en allemand et le distribue aux troupes d’occupation, pour saper le moral des soldats et si possible, en « retourner » ou obtenir des informations. C’est une activité particulièrement périlleuse. Il y a aussi des activités d’infiltration auprès d’organismes qui travaille avec l’armée Allemande, pour obtenir des informations sur son organisation dans cette région. La frontière passe alors au nord d’Amiens. La région est stratégique, car elle fait face à l’Angleterre.
Au début, « Georges Dubois » est confié à Martha Guttmann, mais cette dernière est très malade. Elle décède de la polio le 7 octobre 1942 à l’hôpital de Tarbes, où elle est enterrée au carré des indigents.
Alors, c’est Andrée Fourasté qui s’occupe de l’enfant. Il loge avec elle dans l’ancien presbytère de Cazaux-Debat, au dessus de la salle de classe. Il ne va pas à l’école à Cazaux : Andrée Fourasté est très prudente, elle ne souhaite pas que les autres enfants le voit. Seul, le jeune Charles Ferrou, qui a 18 ans, a pu l’apercevoir le soir, sur le balcon. Pendant la journée, il se rend chez Maria Rey. Cette dernière lui fait écouter la radio en allemand.
Au bout de quelques mois, Andrée Fourasté le confie à Gaby Fisse. Les autrichiens ont tous quitté Cazaux –Debat et les Pyrénées. Les derniers, Sepp Gradl, Irène Spiegel et son fils Pierre sont partis en février 1943. L’enfant n’a donc plus de nouvelle de sa mère. Gaby Fisse l’installe à Barrancoueu. Il fréquente l’école, se fait des petits camarades et un ami, Jean Compagnet, qui a son âge. C’est un petit-neveu de Maria Rey. Georg s’ennuie sans sa mère. Gaby Fisse l’autorise à écrire une lettre à sa mère. Pas de nom de personnes, juste des prénoms, et pas de nom de lieu. Sauf un, Arreau, Hautes Pyrénées, mentionné sur le tampon de la poste. Mais Irma Hirsch a été arrêtée à Amiens et la lettre est interceptée. Le samedi 29 mai 1943, les hommes du SD allemand arrêtent Georg Hirsch et Gabrielle Fisse dans l’école de Barrancoueu.
Amiens
Ils sont amenés à Arreau, à l’hôtel où sont descendus les gens du SD. Ils sont interrogés. Le réseau du Docteur Marquié est informé de l’arrestation. Le docteur Marquié prévient mademoiselle Fourasté à Cazaux-Debat. Cette dernière craint pour sa famille, à Arreau et décide de ne pas partir rejoindre l’Espagne, comme le lui propose le docteur. Et elle est arrêtée à son tour, le lundi suivant. Georg Hirsch parle. Les services de la Gestapo ont su le mettre en confiance. Il parle de la radio, à Cazaux-Debat. Madame Rey a droit à son tour à une visite de la Gestapo, qui l’interroge et perquisitionne. Finalement, elle n’est pas inquiétée plus que cela.
Les deux institutrices et Georges Hirsch sont alors amenées à Amiens, pour être confronté à Irma Hirsch, qui est connu sous le nom de Rose [Hirsch]. La Gestapo décide d’emprisonner mademoiselle Fourasté qui apparaît être la plus impliquée, et de relâcher mademoiselle Fisse.
La Gestapo emprisonne Andrée Fourasté dans la prison d’Amiens, où se trouve Irma Hirsch. Georg Hirsch est amené à la prison, pour essayer de « faire craquer » sa mère. Georg est détenu dans le local de la Gestapo d’Amiens. Les nazis lui montrent des photos, essayent d’apprendre des informations de sa part… L’un des hommes de la Gestapo s’est attaché à cet enfant. Aussi, quand un officier déclare que l’enfant devait rejoindre les autres juifs dans les camps, il se décide à agir. Il confie Georg à une famille via l’Assistance publique. C’était une famille française de confession ou de culture juive, dont le père était ancien combattant et représentant de l’U.G.I.F. C’est ainsi que Raymond Schulhof va chercher Georg à la Gestapo et ramène chez lui ce petit garçon. C’était le 9 juin 1943.
Raymond Schulhof est conscient des dangers qui guettent sa famille. C’est un homme énergique et courageux. Il a essayé de faire passer sa famille, à savoir lui-même, sa femme Lucie, ses trois enfants Ginette, Jacqueline et Pierre en zone libre, avec sa belle-mère. Mais un des deux groupes a été pris et conduit à Drancy. Il n’a pas hésité à aller les chercher, à Drancy, pour obtenir leur libération des autorités françaises qui en avaient la garde. Il va lui-même récupérer sa belle mère une nouvelle fois arrêtée, à l’intérieur du camp de Drancy. Après ces moments d’angoisse à l’issue heureuse, sa famille et lui –même ont donc décidé d’adopter le petit Georg, qu’ils croient orphelin de père et dont la mère, emprisonnées, sera déportée ou tuée. Elle est juive et résistante.
L'assassinat d'Irma Hirsch
Plusieurs fois, ils vont à la prison d’Amiens rencontrer Irma Hirsch. Ils lui font passer des colis, des rations alimentaires prélevées sur leurs propres avoirs. Au parloir, ils peuvent lui donner quelques nouvelles de Georg.
Mais un jour, on leur remet l’alliance et la montre d’Irma Hirsch. Elle est partie pour « une destination inconnue ». Elle arrive à Drancy le 22 novembre 1943. Le registre des fouilles indique qu’elle a remis 10 francs son arrivée au camp de Drancy. Elle est déportée le 7 décembre 1943 par le convoi n°64. Arrivée à Auschwitz, elle fut envoyée directement à la mort, dans la chambre à gaz, avec 660 autres personnes. Elle avait 33 ans.
La rue Lenotre, à Amiens, où fut arrêtée Irma Hirsch en 1943
L'assassinat de Georg Hirsch et de ses parents adoptifs
Pendant ce temps, à Amiens, Georg a repris le chemin de l’école communale. Il parle de ses parents, de son père. « Papa m’a dit qu’un jour, d’autres soldats viendront. Ils porteront une casquette marquée d’une étoile rouge. Ils me prendront dans leur bras et on ira jouer au football tous ensemble. ». Il est resté un enfant attachant, naïf, insouciant. De temps en temps, l’homme de la Gestapo leur rend visite...
Le 4 janvier 1944 à 6 heures, on vient les réveiller. Les 3 enfants de la famille réussissent à s’enfuir par les toits. Raymond, Lucie Schulhof, Louise la grand-mère et Georg Hirsch sont pris. Ils sont amenés le soir même à Drancy. Le préfet de la Somme intervient : pour les Schulhof parce que Raymond, en tant que membre de l’UGIF possède une carte de légitimation sensé le protéger lui et sa famille, et pour Georg parce qu’il a été confié à l’assistance publique. Rien n’y fait. Depuis que Joseph Darnand, le chef de la milice, s’occupe directement de l’arrestation et de la déportation des juifs, les quelques mesures qui pouvaient protéger les juifs français ne sont plus respectées.
La rue de Calonne à Amiens où furent arrêtés Georg Hirsch, Raymond et Lucie Schulhof, et Louise, la grand-mère
Georg Hirsch, Raymond Schulhof, Lucie Schulhof et sa mère Louise sont déportés à Auschwitz par le convoi n°66 qui part de Drancy le 20 janvier 1944. Il comporte 1155 personnes. Après trois jours et trois nuits d’un voyage infernal, le convoi arrive à destination dans la nuit, sous la neige. Des prisonniers et des allemands hurlants font descendre les déportés du train. Les SS sélectionnent les deux colonnes. Celle de droite est conduite à la chambre à gaz. Elle comprend Georg Hirsch et les Schulhof. Celle de gauche ne comprend que 292 personnes. Le plus jeune d’entre eux, Philippe Vovk, a 14 ans.
Dans le convoi, 144 enfants avaient moins de 15 ans. Georg Hirsch avait 9 ans.
Le témoignage de Gérard Avran : http://www.contreloubli.ch/
Albert Hirsch, le survivant
Le 11 février 1944, un convoi de 99 internés quitte la prison de la Santé en direction du Lot -et Garonne. Le secrétaire général de la police de Vichy, Bousquet, a en effet décidé de concentrer tous les prisonniers politiques de la zone sud et de la zone nord dans la prison d’Eysses, à Villeneuve sur Lot. 1400 condamnés communistes, gaullistes et membres de divers réseaux de résistances sont ainsi concentrés.
Albert Hirsch est parmi eux.
L‘organisation de la résistance du camp organise une évasion en masse le 19 février 1944. Le chef de la milice, Joseph Darnand, a fait condamné à mort 12 d’entre eux. L’évasion échoue, il y a 13 morts dont les 12 condamnés. Il est alors décidé de déporter tous les prisonniers. Le 30 mai, la division SS Das Reich prend possession des détenus. Le voyage vers Compiègne est long, 4 jours. Georges Charpak, le physicien futur prix Nobel de physique, en fait partie. Il raconte : « Le premier voyage en France et dans un train français nous a appris beaucoup. En particulier, à manger toute notre ration de nourriture dès le départ car ensuite, la soif empêche toute absorption de nourriture. Cette soif terrible, nul ne peut l’imaginer s’il ne l’a pas connue. ».
Le 18 juin 1944, 2139 prisonniers quittent le camp de Compiègne. Parmi eux, Albert Hirsch. Ils arrivent à Dachau le 20 juin 1944. Une organisation remarquable a régné dans les wagons : responsables désignés, rationnement de l’eau et de la nourriture, tours organisés pour respirer prés des ouvertures. Cette discipline leur permet d’arriver à destination dans un état physique et mental satisfaisant.
Après quelques semaines, Albert Hirsch est affecté au commando de travail de Blaichach, qui travaille pour BMW. Il est libéré avec ses camarades par les forces alliées le 8 mai 1945.
Après la guerre, Albert Hirsch a continué à militer au KPÖ, dont il était l’un des dirigeants viennois.
1969 : Albert Hirsch (au premier plan, avec la pancarte) participe à une manifestation à Vienne
Il est décédé le 8 novembre 1992.
Les évènements décrits ci-dessus sont connus par les archives départementales des Hautes Pyrénées et de la Somme, celles du DÖW à Vienne, du Alfred Klahr Ins., du Mémorial de la Shoah, du mémorial de Caen, les recherches sur Internet, les témoignages écrits de Josef « Zepp » Gradl, Paul Jelinek, Josef Meisel, Ginette Schulhof, Georges Charpak, Tilly Spiegel, et d’autres, ainsi que par quelques témoignages oraux.