La journée du patrimoine a été l'occasion de visiter par l'extérieur l'usine hydroélectrique de Bordères, à Arreau, puis de longer le canal d'amenée d'eau entre Arreau et Cazaux - Deb
L’usine de Bordères :
L'eau est conduite à l'usine
en passant par dessus la route du Louron, à la sortie d'Arreau
L'eau arrive dans l'usine
Le premier projet de construction d'une centrale hydroélectrique à Arreau remonte aux années 1907-1908 à l'initiative de la Société industrielle Perrin, Chuzel, Planche et Cie de Chambéry. En mars 1911 la Société signe un traité avec la commune d'Arreau obtenant le droit de dériver les eaux de la Neste du Louron entre Avajan et Arreau en passant sur des terrains communaux. La première centrale, couplée à un moulin, est construite entre 1911 et 1913 par l'entreprise F.Thévenot fils, de Bordeaux, qui est également l'auteur des plans. Pendant la Grande Guerre, l'Etat reprend la concession afin d'alimenter en électricité la poudrerie de Lannemezan. Après la guerre, la concession est confiée à la Société des Produits Azotés (siège social à Paris, 2 rue Blanche). La nouvelle centrale est mise en service en 1922. Equipée de 2 turbines Francis, sa puissance est aujourd'hui de 10 millions de Watts pour une chute de 162m et un débit de 7, 4 m3/s. Bien qu'elle soit située sur le territoire d'Arreau la centrale porte le nom de Bordères car elle utilise les eaux de la Neste du Louron captées entre Avajan et Bordères-Louron.
L'électricité produite est acheminée sur le réseau
Le canal de dérivation, entièrement couvert, a une longueur de 6960 mètres, avec un dénivelé d’environ 8 mètres. La prise d’eau est effectuée au niveau du barrage sur la Neste à AVAJAN. Elle est à nouveau confiée en août 1917 à la société Thévenot et Fils.
La chambre d'eau, point de départ de la ballade pour nous, de la chute de l'eau vers l'usine
Le groupe le long du canal
La construction du canal a représenté, pour CAZAUX-DEBAT, une source de problèmes divers : la baisse du niveau de la Neste, liée à la construction de barrages sur cette rivière, dont celui
d’Avajan, a entrainé la fermeture de la scierie et des moulins, qui fonctionnaient à la force hydraulique produite par l’eau de la Neste. La construction du canal a également rendue plus
difficile l’exploitation forestière, qui constituait un revenu appréciable pour la commune et les particuliers. Un conflit juridique s’ensuivra avec l’Etat, qui ne fut réglé qu’en 1926.
La construction du canal
Le
canal serpente dans la forêt
La construction du canal est entreprise pendant la première guerre mondiale. Il faut aller vite, car l’électricité que doit produire l’usine de Bordères doit alimenter l’usine de poudres de
Lannemezan.
Pour se faire, plusieurs types d’ouvriers sont mobilisés :
• 55 ouvriers français non mobilisés et 403 mobilisés ;
• Des ouvriers immigrés venus de pays neutres ou alliés, en l’occurrence, 71 Espagnols (il y avaient 3 suisses et 1 belge sur d’autres chantiers de la vallée d’Aure) ;
• Des déplacés : 187 alsaciens lorrains ;
Ces différentes catégories d’ouvriers avaient des statuts très différents. Ainsi, seuls les français non mobilisés et les espagnols pouvaient faire valoir leur droit de grève ou quitter le chantier. Les autres étaient plus contrains, et utilisaient donc d’autres moyens pour montrer leur mécontentement : travail bâclé, incidents divers. Ainsi, un ancien prisonnier de guerre en 1940-45 a ainsi qualifié le canal : c’est du travail de prisonniers ».
En 1917 et au début de 1918, trois évènements importants expliquent l’envoi de travailleurs coloniaux en renforts sur ce chantier :
• La guerre ne se passe pas très bien, à la suite de l’arrêt des combats sur le front de l’Est (révolution bolchevique), en attendant l’arrivée des américains en avril 1918.
• L’hiver et très rude, et retarde le chantier. En avril, l’arrivée des annamites a lieu dans un froid polaire, sous la neige.
• Les travailleurs annamites sont mal traités par la population : en 1917, des grèves éclatent. Les annamites ouvriers coloniaux dans les entrepôts sont pris à partie, accusés de briser la
grève (leur statut leur interdisait de faire grève), de faire baisser leur salaire (leur statut ne différenciait pas les horaires de jour et de nuit, contrairement aux autres travailleurs). De
plus, des régiments composés d’indochinois avaient été envoyés contre des manifestations. Aussi, des travailleurs annamites ont été envoyés sur des chantiers à la campagne.
Le canal enjambe le ruisseau qui vient d'Ilhan
Les annamites
A la fin du XIXème siècle, la France a colonisé l’Indochine, partagée en cinq régions : le LAOS, le CAMBODGE (protectorats), le TONKIN, l’ANNAM et la COCHINCHINE. Ces trois dernières régions correspondent au VIETNAM actuel.
Les habitants de la métropole avaient tendance à appeler « annamites », les habitants de l’actuel VIETNAM, qu’ils soient du TONKIN, de l’ANNAM ou de la COCHINCHINE.
Durant le premier conflit mondial, 90 000 Indochinois sont amenés en France dont plus de la moitié en qualité de travailleurs.
Ces arrivées ne répondent pas à un plan préétabli mais à l'émergence régulière de besoins en main d'œuvre. Un premier groupe de 40 ouvriers spécialisés arrive au printemps 1915, à l'initiative du
Directeur de l'Aéronautique. Ils sont suivis par des contingents de plus en plus nombreux d'ouvriers non spécialisés, surtout en 1916 et 1917.
Dépendant du Ministère de la Guerre, le Service des Travailleurs Coloniaux, créé en décembre 1915, va introduire en métropole un peu plus de 220 000 ouvriers en provenance des colonies dont 49
000 Annamites selon l'expression de l'époque.
Ces travailleurs sont organisés en groupements qui correspondent au lieu et au type de travaux qu'ils effectuent. Ils seront tout d'abord affectés à des industries de guerre et des compagnies de
chemins de fer puis à des travaux de creusement de tranchées et de "nettoyage" du champ de bataille.
Pour la construction du canal entre AVAJAN et ARREAU, un contingent de travailleurs annamites a été employé par le ministère de la guerre. Un cantonnement avait été installé à CAZAUX-DEBAT en
face du pont sur la Neste, à côté du hameau de la Prade. Le responsable de ce cantonnement de 130 personnes en avril / mai 1918 et 149 en août, était monsieur François Balagué, chargé du contrôle
à la poudrerie nationale de TOULOUSE
Des liens se sont noués avec les villageois, certains étant employés au cantonnement. Des buvettes ont été ouvertes chez l’habitant, des fêtes organisées.
D’après les registres d’Etat civil, ces « annamites étaient majoritairement originaires de différentes provinces du TONKIN, certains de l’ANNAM et d’autre de COCHINCHINE.
La grippe espagnole
Son surnom de grippe espagnole vient du fait que seule l’Espagne, non impliquée dans la première guerre mondiale) a pu, en 1918, publier librement les informations relatives à cette épidémie. Entre 1918 et 1919, cette épidémie a tué plus de 60 million de personnes dans le monde, soit plus que la première guerre mondiale. Elle fit 408000 morts en France.
La mortalité importante était due à une surinfection bronchique bactérienne, mais aussi à une pneumonie due au virus. L'atteinte préférentielle d'adultes jeunes pourrait peut-être s'expliquer par une relative immunisation des personnes plus âgées ayant été contaminées auparavant par un virus proche. Ceci a d'abord été expliqué par le fait que cette tranche d'âge (notamment pour des raisons professionnelles ou de guerre) se déplace le plus ou vit dans des endroits où elle côtoie de nombreuses personnes (ateliers, ...). La multiplicité des contacts accroît le risque d'être contaminé. Cette constatation a été faite par les historiens (notamment lors de l'épidémie de choléra à Liège en 1866). En fait c'est le système immunitaire de cette classe d'âge qui a trop vigoureusement réagi à ce nouveau virus, en déclenchant une "tempête de cytokines" qui endommageait tous les organes, au point de tuer nombre de malades
Deux vagues se sont succédées : une première, en 1917, provoque une forte fièvre, mais n’est pas particulièrement meurtrière. La seconde vague intervient alors que le virus a muté et se révèle particulièrement meurtrière : en Afrique, aux Fidji dans le Pacifique, en Alaska, en Asie du SUD-EST, dans les régiments indiens de l’armée anglaise, l’épidémie peut décimer des communautés entière. Aux îles Samoa, dans le Pacifique, 25% de la population, surtout les hommes jeunes, est tuée en une quinzaine de jours, 90% de la population étant contaminée.
Les travailleurs annamites de CAZAUX-DEBAT ont été touchés à partir du 15 août. 80 d’entre eux reçurent des soins, et au moins 19 d’entre eux décèdent en l’espace de 10 jours, entre le 20 et le 30 août 1918.
La stèle en souvenir des travailleurs coloniaux
viêtamiens, à la clairière des annamites, a été inaugurée en juin
Si deux d’entre eux décédèrent à CAZAUX-DEBAT, comme en atteste l’Etat-civil de cette commune, et furent enterrés au cimetière de cette commune, les autres sont décédés à l’hôpital d’ARREAU,
annexe de l’hôpital militaire de TARBES et installé dans l’ancien couvent Saint Exupère, ou dans leur campement, placé sous autorité militaire : 7 d’entre eux ne figurent ni sur le registre
d’Etat civil de CAZAUX-DEBAT, ni sur celui d’ARREAU.
10 d’entre eux ont été enterrés à ARREAU, 2 au cimetière de CAZAUX-DEBAT et 7 dans un lieu appelé par la mémoire collective le « cimetière des annamites », situés au dessus du lieu du campement et qui n’est plus matérialisé aujourd’hui.
Ils s’appelaient :
- TRUONG KHAM, 39 ans, marié, décédé le 20 août 1918 à Cazaux-Debat ;
- HOANG VAN CAO, 34 ans, décédé le 22 août 1918 à Cazaux-Debat ;
- NGUYEN VAN BA 31 ans, décédé le 20 août 1918 à l’hôpital d’Arreau ;
- NGUYEN NGONG 33 ans, décédé le 22 août 1918 à l’hôpital d’Arreau ;
- LE VAN PHUC, 30 ans, décédé le 20 août 1918 à l’hôpital d’Arreau ;
- DAO DUC KIET, 32 ans, décédé le 22 août 1918 à l’hôpital d’Arreau ;
- MAI VAN KIEN 25 ans, décédé le 24 août 1918 à l’hôpital d’Arreau ;
- NGUYEN LANH 33 ans, décédé le 26 août 1918 à l’hôpital d’Arreau
- NGUYEN NHIEM ou NGUYEN VAN NHIEM, 35 ans, décédé le 23 août 1918 à l’hôpital d’Arreau ;
- TRAN CONG NHGHI, 31 ans, décédé le 25 août 1918 à l’hôpital d’Arreau ;
- NGUYEN HUOI 31 ou 33 ans, décédé le 29 août 1918 à l’hôpital d’Arreau ;
- VÛ HÛU SO, 22 ans, décédé le 29 août 1918 à l’hôpital d’Arreau ;
- LE SU, 23 ans, décédé le 20 août 1918 ;
- LE VAN MAN, 36 ans, décédé le 22 août 1918 ;
- NGUYEN VAN HIEN 31 ans, décédé le 22 août 1918 ;
- TRAN BEP, 30 ans, décédé le 23 août 1918 ;
- TRAN VO, 25 ans, décédé le 24 août 1918 ;
- NGUYEN VAN THUC, 22 ans, décédé le 24 août 1918 ;
- THAM BUNG, 23 ans, décédé le 30 août 1918.
Ils étaient venus de différentes provinces d’Indochine, plutôt du nord.
Au total, l’Etat civil d’ARRAU enregistrât 33 morts en aout 1918, dont plusieurs (outre les 10 annamites) travaillaient pour la « poudrerie de TOULOUSE », et 66 morts entre août et octobre 1918, contre 25 morts par an les autres années.
La construction du canal et de l’usine d’Arreau ont été terminée après la guerre. La population a conservé le souvenir des travailleurs annamites arrivés en avril 1918 et repartis sans doute en
novembre 1918 laissant le chantier aux civils.
Les tombes laissées dans le bois de Cazaux ont reçues les marques d’une sépulture chrétienne et ont été entretenues par les populations locales contemporaines de l’évènement. Des cérémonies militaires ont commémorées l’évènement dans les années 1920.